De la signification des comportements en escalade libre
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Aubel Olivier
Laboratoire APS et Sciences Sociales. Université de Strasbourg II


L’escalade libre et sportive qui apparaît en France au milieu des années soixante-dix semble consister en l’importation puis la requalification d’un mode de pratique analogue d’origine saxonne mais aussi et surtout anglo-saxonne.
Vis-à-vis de la pratique préexistante, elle est décrite comme « nouvelle » dans la mesure où elle se fonde sur la redéfinition de la médiation technique légitime entre le grimpeur et le rocher, désormais basée sur le refus de tout artifice de progression. Mais la nouveauté induite par cette escalade concerne également les modes d’échange entre les pratiquants. L’alpinisme des années cinquante semble reposer sur une dénégation tranchée du principe compétitif, comme le soulignait l’alpiniste de premier plan Pierre Allain (1949). Quelques trente ans après son avènement (Hoibian, 1997), l’escalade libre, pratiquée hors des compétitions officielles, semble se distinguer de l’alpinisme par son ambivalence : tantôt les grimpeurs la célèbrent comme le lieu d’une quête personnelle où la performance est recherchée en elle même et non contre les autres, tantôt ces derniers reconnaissent l’existence, non d’une compétition, mais d’une saine émulation.
A partir du constat de cette ambivalence, ce travail de recherche basé sur l’observation directe de scènes de pratique permet d’envisager que les échanges entre grimpeurs sont réglés par un principe compétitif faisant l’objet d’une dénégation de leur part. A partir des catégories de lecture de la vie quotidienne d’Erving Goffman permettant la description ordonnée des interactions entre les grimpeurs au pied d’une falaise, cette recherche développe la perspective théorique de Pierre Bourdieu en vue d’objectiver les enjeux de la pratique de l’escalade libre et sportive.


1. La mise en scène d’un affrontement interindividuel

L’escalade libre et sportive, telle qu’elle s’impose en France (Hoibian 1997), semble participer de la diffusion d’un discours contre-culturel dans l’univers des pratiques sportives dont les modèles traditionnels sont contestés à partir du milieu des années soixante-dix.
Les modes d’échange entre les pratiquants de cette nouvelle escalade seraient les expressions métaphoriques du rejet de la culture des sociétés occidentales dont les fondements seront ébranlés par des mouvements de contestation à partir des décennies cinquante et soixante aux Etats-Unis puis en Europe.
A ce titre, l’escalade libre apparaît représentative d’une « culture sportive alternative » (Loret, 1995) en étant le lieu de la célébration d’une « osmose groupale » (Corneloup, 1993) et de la revendication d’un affrontement de soi à soi par voies interposées.
Ainsi quand Jean-Claude Droyer (1977) propose une escalade « libre » mais aussi sportive, il s’agirait apparemment de rechercher la performance quant à soi et non contre les autres.
Il est cependant possible de relever la contradiction existant entre les discours et les actes des grimpeurs.
Cette contradiction est illustrée par la prise de position ambiguë de Patrick Edlinger, compétiteur de la première heure, se posant désormais comme l’incarnation d’un « esprit de la grimpe » selon lequel « la cotation ne devrait être là que pour savoir où l’on met les pieds, avant de savoir qui l’on est » (Edlinger, 1996).
En écho à cette proposition, le premier grimpeur à avoir proposé la cotation 9b, niveau de difficulté jamais atteint, se déclare « auto-référencé en cherchant à maîtriser sa pratique, et non normativement référencé comme ceux qui se comparent continuellement à la masse dans un but de performance » (Belluard, 1997).
Le fait cependant de proposer une telle cotation permet objectivement aux grimpeurs de se comparer à ce dernier et laisse supposer l’existence d’une confrontation par voies interposées, induite par le corpus réglementaire de l’activité.
L’énoncé des règles de l’escalade libre par Jean-Claude Droyer (1977) est en effet à la base d’une standardisation de la manière d’affronter une voie. Les conditions d’une confrontation semblent réunies dans la mesure où la difficulté des itinéraires ne dépend désormais plus du nombre et de la nature des artifices employés mais de ce qu’impose le rocher, devant lequel les grimpeurs sont, a priori, à égalité.
En se situant dans la perspective théorique de Pierre Bourdieu, cette recherche a pour but de mettre en évidence qu’être ou paraître le plus fort de tous constitue l’enjeu de l’escalade libre dans la représentation des grimpeurs. Leurs échanges seraient alors structurés par un principe compétitif, bien que leurs mises en scène tendent à faire apparaître le contraire. Ce positionnement théorique permet d’envisager que les dispositions propres à réaliser des voies d’un certain niveau, et le palmarès, manifestation objective de ces dernières, fonctionneraient comme « capital symbolique » ou « pouvoir de contrainte » (Bourdieu 1994), dès lors qu’ils sont perçus et appréciés.
L’enjeu serait donc le monopole de l’autorité, légitimé par ce capital symbolique spécifique. De manière liée, la détention de ce monopole permettrait d’imposer une définition de l’escalade légitime.
Définition elle-même enjeu de lutte dans la mesure où elle détermine les propriétés qui ont cours sur ce marché.
Les producteurs d’un savoir sur l’escalade, sans faire des interactions entre les pratiquants leur objet central d’étude, se sont jusque-là attachés comme Jean Corneloup (1993) ou Olivier Hoibian (1997) à mettre à jour les enjeux d’un espace des escalades, c’est-à-dire partagés par tous ceux, alpinistes ou « libéristes », que l’on peut décrire comme pratiquants de cette activité de locomotion dans un environnement plus ou moins vertical qui trouve en elle-même ses fins et ses normes.
L’objectif, ici, bien que parallèle, se distingue sensiblement des deux approches précédentes. Il repose en effet sur une prise de position théorique initiale consistant à se situer dans une perspective dramaturgique supposant unité de lieu et de temps. Cette prise de position oriente à la fois la construction méthodologique et le travail d’analyse. Ne pouvant trancher d’emblée la question de la réalité objective du jeu de l’escalade libre et sportive, il semble en effet opportun de l’observer tel qu’il s’actualise au pied des falaises. En cela, la démarche est ici proche de celle de Jacques Cohenen-Huther (1995) dont l’observation d’interactions entre les membres du Club Alpin Suisse fait apparaître comme centrale la dénégation d’un affrontement interindividuel qui structure néanmoins les rapports entre ces alpinistes.

Mettre en évidence les significations des prises de position des grimpeurs les uns par rapport aux autres, au cours d’une scène de pratique, suppose une description préalable et ordonnée de leurs échanges et de la façon dont ils donnent eux-mêmes sens à ce qui se joue ici et maintenant. La construction des hypothèses et des indicateurs, comme le traitement des données recueillies, supposent donc une démarche en deux temps. Le premier consiste en la mise en place puis en œuvre des cadres d’une description ordonnée des interactions, à partir des catégories de lecture de la vie quotidienne proposées par Erving Goffman. Le second temps est celui de l’interprétation dans la perspective théorique de Pierre Bourdieu, à partir de l’hypothèse concernant la réalité objective du jeu de l’escalade libre et sportive. Ainsi le positionnement dramaturgique initialement adopté et l’inscription dans la perspective de Pierre Bourdieu semble permettre le recours à la construction de Erving Goffman pour sa pertinence descriptive.


2. Du désenchantement de l’escalade libre à une économie des échanges symboliques

Cette construction descriptive et interprétative préside tout d’abord à l’élaboration de la procédure d’objectivation des enjeux structurant les échanges. Cette procédure se décompose elle-même en deux temps. Le premier consiste à poser le possible dépassement des « mises en formes symboliques » (Bourdieu, 1994) consistant en la dénégation de la confrontation entre les grimpeurs.
Ainsi, si l’escalade libre est telle que la décrivent ses adeptes, l’absence d’enjeu ou de confrontation serait le postulat central de son « cadre primaire », c’est-à-dire du système de « schèmes interprétatifs » constitué de « postulats et de règles » (Goffman, 1991) mis en pratique par les grimpeurs afin de rendre intelligibles leurs échanges.
On envisagera alors ici, a contrario, que ces échanges sont intelligibles « hors cadre » (Goffman, 1991), c’est à dire hors de ce cadre primaire qui ne serait qu’un « cadre écran » remplissant une fonction de dénégation de l’affrontement. Ainsi, de manière sous-jacente, il serait possible d’identifier, hors de ce cadre écran, l’établissement du bilan du rapport de force entre les grimpeurs présents. Cette identification conduirait à celle de la division du travail de représentation (au sens théâtral) qui correspond à ce rapport, et ce en dépit d’une apparente solidarité horizontale régnant au pied des falaises. Dès lors peut être envisagée l’existence d’une « économie des échanges symboliques » (Bourdieu 1994) et principalement de deux types d’échanges. La première catégorie serait celle des échanges « affirmatifs » au cours desquels les grimpeurs présentent leur « apparence » (Goffman, 1973), en l’occurrence ici leur niveau de compétence. Ces derniers endosseraient, par suite, le rôle qui sied à ce niveau.
Leur rôle serait alors une manière de se comporter ratifiée par les autres participants sur la base du crédit donné à chacun, sur présentation d’un niveau revendiqué ou suggéré. La seconde catégorie est celle des échanges « confirmatifs » dont la fonction serait de montrer que chaque protagoniste se conforme à ce qu’induit le bilan du rapport de force. Il serait montré ainsi qu’il existe un accord sur le partage de l’autorité reposant sur la complicité objective de ceux qui la subissent.
Ce constat de manière liée, attesterait l’existence d’un capital symbolique fondé sur la capacité perçue et appréciée à réaliser des voies d’un certain niveau.


3. Méthodologie

Afin de mettre en œuvre cette modélisation préalable, il a été choisi de ne recueillir de données qu’en un seul lieu, sur le site d’escalade alsacien du Kronthal.

Mais l’étude de ce qui peut avoir lieu sur un site d’escalade s’étendant sur 200 mètres de long où, dans le même temps, sont présents plus de 50 grimpeurs, implique la détermination d’une stratégie d’observation consistant à suivre un groupe de pratiquants au cours de sa séance, depuis son arrivée jusqu’à son départ et dans tous ses déplacements sur le site.
Il s’est avéré nécessaire de consigner non seulement les discours et les actes des membres de ce groupe « ancrage », mais aussi de tous ceux entrant en contact direct, visuel ou auditif, avec eux.
Le relevé a été effectué de manière linéaire, à la manière de pièces de théâtre, où la césure en actes correspond aux déplacements du groupe d’un secteur à l’autre, et le découpage en scènes aux événements marquants, comme l’arrivée ou le départ d’un ou plusieurs interactants.
La construction des indicateurs s’est effectuée conformément à l’objectif d’une description préalable à l’interprétation. Les deux cents indicateurs retenus sont de deux types.
Le premier est celui de la description et concerne les catégories du cadrage, les procédures d’échange et de présentation de soi. Le second est relatif au contenu des discours et des actes nous informant à la fois sur les prises de position dramaturgiques et stylistiques des protagonistes, et sur leur « capital spécifique » (Bourdieu 1979) comme l’ensemble des propriétés valorisables en escalade libre et sportive.
Les données recueillies ont été traitées en trois phases, les deux premières correspondant au temps de la description, la troisième à celle de l’interprétation.
En premier lieu, la quantité d’informations à enregistrer a rendu caduque tout tentative de construction d’une grille préalable de recueil d’informations.
Ainsi, c’est a posteriori, dans une analyse séquentielle, que la succession linéaire des actes et répliques correspondant au déroulement chronologique de la séquence d’observation a été décomposée en relations entre les protagonistes : duelles, triangulaires ou entre « équipes de représentation » (Goffman 1973). C’est uniquement à partir de ce pré-découpage, dans une analyse de contenu, qu’ont pu être mises en œuvre les catégories de la description en terme d’échanges, de cadrage, de présentation de son apparence et de prise de rôle.
Ce pré-découpage permettant par la suite de relever les informations concernant les prises de position et les positions des protagonistes. C’est à l’issue de ces deux premières phases, essentiellement descriptives, que se situe l’ultime phase d’analyse.


4. Le dépassement de la mise en forme symbolique de l’affrontement

L’analyse des données a permis dans un premier temps de mettre en évidence que les échanges sont structurés selon un principe compétitif.
En premier lieu, de manière systématique et sous-jacente, tout acte ou toute parole est intelligible relativement à une confrontation interindividuelle qui est ainsi masquée.
En communiquant hors cadre, c’est à dire hors du cadre supposant l’absence de confrontation, les protagonistes donnent à voir et à entendre des informations relatives à leur niveau tout en en captant en retour.
Dans les activités conjointes où l’échange est direct entre deux interactants, la communication est essentiellement verbale et consiste en « partage de cadres ».
L’exemple le plus significatif est la mise en commun d’informations permettant de décoder le site :
Sur ces entrefaites, le nouvel arrivant revient demander à A s’il connaît les voies un peu plus loin. A : oui de gauche à droite, depuis ton sac jusqu’à nous, tu as un 6c+, un 7a+, un 7b+, un 7a dur...
Pendant que A parle, le demandeur est en train de se bander les doigts avec du Strapal (pansement protecteur).
A ajoute à la suite : à part la fissure là, les autres sont faisables à vue même le 7b+
Le demandeur : Oh là moi, je fais pas du 7b+; tout juste du 7a et encore...


Dans ce passage, les deux interlocuteurs sont renseignés sur le niveau qu’ils revendiquent.
La phrase de A « toutes les voies sont faisables à vue même le 7b+ » apparaît alors à la fois comme la suggestion de sa capacité à réaliser de telles performances, mais aussi comme un test lui permettant de cerner le niveau de son interlocuteur.
La réponse de ce dernier vient en fait comme un acte de soumission : « oh moi, je fais pas du 7b+, tout juste du 7a et encore ».
Préalablement, ou en l’absence de contact verbal direct, le principe évaluatif demeure, mais s’enrichit d’une possibilité de communication visuelle. Bien qu’apparemment centrés sur un foyer d’attention principal, les interactants se saisissent à des fins évaluatives de tout élément ou acte visuellement perceptible, comme le montre l’identification à connotation négative par C des montagnards (H et I), à partir de leur tenue vestimentaire :
H salue ABC et lève les yeux pour voir dans quelle voie A grimpe
A et C répondent, I passe sans saluer.
H s’éloigne en marchant sur la corde
I : laisse tomber, c’est pas pour nous ce genre de voie !
B signale à H : on ne marche pas sur les cordes surtout quand quelqu’un est en train de grimper
C : laisse tomber, c’est des montagnards


Que la communication soit directe et verbale ou indirecte et visuelle, tout ce qui se donne à voir et entendre semble pouvoir faire l’objet d’une double lecture. La communication hors cadre apparaît alors véritablement procéder de la mise en forme symbolique car tout est échangé relativement à une confrontation sans que cela apparaisse officiellement. A l’issue de cette phase évaluative, il est possible de constater l’existence d’une hiérarchisation des rôles au delà d’une solidarité horizontale apparente. L’étude de relations duelles non influencées par d’autres interactants, a permis de mettre en évidence deux procédures élémentaires asymétriques dans le sens où les attentes des différents protagonistes ne sont pas substituables. La première est l’occurrence autorité/soumission constituée d’une injonction et d’une procédure d’évitement de la part de celui qui la subit :
C : bon, moi, je vais y aller en second
A : c’est bien la peine de faire du huit pour aller en second dans du six
C, en grimpant : vous avez vu il travaille la conti, il fait plusieurs voies en même temps
A : tais-toi et grimpe

La deuxième occurrence est la déférence réciproque et asymétrique dans la mesure où l’acte déférent du dominant (A) n’est pas substituable à celui du dominé (C).
Ce dernier se doit de produire des discours propres à confirmer la nature du lien, en l’occurrence sa subordination : A réussit sa voie avec une apparente facilité
B : de toute façon 7c, c’est trop facile pour lui
A, vers C : c’est trop dur pour le moment mais j’aimerais bien la faire avant la fin de l’année
C : pourtant tu dois avoir assez de force vu ce que tu as fait avant
A : oui mais avant, c’était pas une voie dure
C (en plaisantant) : c’est sûr à ton niveau, le 7b+ c’est pas grand chose


Le dominant en revanche se doit de produire conseils et encouragements afin que l’existence même de cette subordination soit niée :
Une fois équipé, B se lance dans la voie
A l’encourage en lui criant : allez, vas y prends ton temps, il y a un repos...
B monte jusqu’au ressaut final où se terminent les difficultés et lance à A : Bon prends-moi, il fait froid, je ne sens plus mes doigts
A : pas question, tu montes et c’est tout

Dans les relations au sein d’une équipe, le constat de la présence de ces occurrences élémentaires fait apparaître une hiérarchie interne dans une « région postérieure » ou « coulisse » (Goffman, 1973 :1).
Dans la « région antérieure » en revanche, en correspondance avec cette hiérarchie, s’ajoute une division du travail représentatif.
Cette division prend alors la forme d’un ensemble de rôles aux prérogatives non substituables, se définissant à partir de leur « relief dramatique » (Goffman, 1973 :1) :
H salue les nouveaux entrants : alors, il paraît que tes photos sont publiées ? J ouvre une pochette dans laquelle se trouvent les photos des dernières réalisations de I qui restera silencieux pendant la présentation. J commente les photos à H en élevant le niveau sonore de la conversation. Le groupe est tourné vers l’équipe ABCDEF H : tu étais où pour prendre les photos ?
J : pendu dans le tango (« tango des grabataires », voie du secteur 7)
H : c’était pendant l’ascension ?
J : non, on a fait une séance photo après la réalisation

Conformément à l’obligation du dominant (I) de ne pas apparaître comme tel, celui ci se cantonne dans un rôle « décoratif » (Goffman, 1973 :1) se caractérisant par une participation passive à la conversation. Le véritable pouvoir semble détenu par un « directeur » (J) (Goffman, 1973 :1), orchestrant la représentation du ou des faire valoir (H), grade le plus bas dans l’équipe, mais aussi celle du leader dont il organise la mise en valeur :
I à J : bon on fait quoi ?
J : tu peux aller dans le 8a pour t’échauffer
I : je m’en fous, je l’ai déjà fait, c’est quoi la voie au fond ?
J : je crois que c’est un 6c, fais gaffe c’est trop dur pour toi
I rigole : à fond, j’ai peur, c’est vachement dur le 6c


Si on considère enfin la confrontation entre équipes de représentation, d’une manière globale, celle qui est dominée se présente comme un groupe de revendication où toute hiérarchie interne est masquée, contrairement à l’équipe dominante dans laquelle celle-ci est plus manifeste. A l’issue de cette première phase, la mise à jour d’une communication hors cadre et d’une hiérarchisation des rôles permet de dire que le jeu n’est pas tel qu’il paraît, dans la mesure où ces deux éléments impliquent l’existence d’une confrontation interindividuelle.


5. Une économie des échanges symboliques entre les pratiquants

Le double constat aboutissant à la mise à jour du principe compétitif réglant les relations entre grimpeurs permet d’envisager une économie des échanges symboliques. Cette nouvelle étape consiste en une deuxième lecture des matériaux utilisés dans un premier temps, à partir des catégories d’échanges pré-construites. Afin d’alléger notre propos, seules deux catégories d’échanges seront considérés. Il s’agit de ceux que l’on peut poser comme l’expression de la conformité. Ils sont destinés à affirmer et confirmer la relation, son existence, mais aussi sa nature, dans la mesure ils ne peuvent être envisagés indépendamment du jeu qu’ils règlent. Si l’on retient que ces échanges sont relatifs aux différentes phases de la présentation de soi, elle-même conditionnée par ce qui organise le jeu considéré, les données permettent de distinguer deux catégories essentielles d’échanges : « affirmatifs » et « confirmatifs ». La fonction des échanges « affirmatifs » constitue une mise en ordre par la mise à disposition d’informations permettant l’établissement du bilan du rapport de force ici et maintenant. Cette phase affirmative s’achève alors sur l’établissement d’un « modus vivendi interactionnel » (Goffman, 1974) comme définition officielle et provisoire à partir de laquelle les protagonistes construiront leurs relations. Dans un premier temps, ils revendiquent une position en présentant leur apparence, puis adoptent le rôle qui lui sied. Il s’agit bien d’un accord dans la mesure où chacune des parties se donne un crédit sur présentation de son apparence pour endosser un certain rôle. Dès lors, on peut envisager que ces échanges seront symétriques car, tant que la définition n’est pas posée, les acteurs sont a priori à égalité.
Ces échanges peuvent s’effectuer, conformément au schéma d’une communication hors cadre identifié précédemment, sur le mode verbal direct dans des activités conjointes, ou visuel et verbal en l’absence ou préalablement à tout contact direct Au cours de ces échanges, la présentation de soi a pour finalité de suggérer sa capacité à agir, de livrer accès à sa « réserve d’informations » (Goffman, 1973: 2) tout en tentant de pénétrer celle des autres.

C’est ainsi que l’on peut interpréter la première des séquences citées : instantanément, chacun des protagonistes prend position conformément au rapport de force objectif dont la suite de l’observation permettra d’attester l’existence (le niveau de A est effectivement supérieur à celui de G) :
A : A part la fissure, toutes les voies sont faisables à vue même le 7b+
G : Oh là moi, je fais tout juste du 7a et encore


Il est possible d’envisager la présentation de soi comme l’opération réciproque et symétrique par laquelle chacun des protagonistes produit son apparence à partir de la représentation qu'il a de sa propre position de grimpeur et de la positon de celui ou ceux qui lui font face. Cette opération implique de manière dialogique, par un constant jeu d’aller et retour, que l’impression produite est influencée par l’expression mise à disposition par les adversaires. En conséquence, la présentation de son apparence est conditionnée par la configuration interactionnelle. On peut ainsi se demander si cet acteur A aurait tenu les propos suivants si en face de lui s’était trouvé des grimpeurs qu’il aurait repérés comme plus forts que lui : A suffisamment fort pour que F et G entendent à coté de lui et se retournent : Je t’avais bien dit que ce n’était pas la peine d’aller s’emmerder dans du 7, on aurait mieux fait d’aller dans notre projet.

Il convient ici de produire trois remarques. La première est relative à la ressource dont disposent les grimpeurs pour produire une « fabrication de cadre » (Goffman, 1991).
Cette manipulation repose sur le possible « brouillage des codes » induit par l’ordre flou qui préside à l’évaluation de la performance. A la différence des pratiques sportives où les supports de la confrontation sont relativement standards, la quantification d’une performance permettant la comparaison et donc l’établissement d’un rapport de force suppose en premier lieu l’évaluation du support lui même.
Le support, variant d’une voie à l’autre en terme de déclivité (dalles, dévers, murs verticaux…), d’agencement des prises ou encore de longueur, implique la mobilisation de ressources énergétiques et gestuelles relatives aux caractéristiques de l’itinéraire parcouru.
En conséquence, sous le couvert de l’illusion de rationalité que procure le chiffre (7a, 8a…), la cotation ne peut être définie que comme la manifestation objective d’une difficulté perçue par les ouvreurs à partir de leur capital corporel et ratifiée de manière collective.

En allant plus loin, on peut envisager qu’il y ait un enjeu à l’établissement d’une cotation, car de celle-ci dépend le gain enregistré par le ou les vainqueurs. Parallèlement au caractère hétérogène de la cotation, l’existence de différents types de performance (« à vue », « après travail », « en tête », « en moulinette ») implique que le niveau d’un grimpeur est méconnu dans sa réalité objective.
L’annonce ou la suggestion d’un niveau de performance n’a pas de valeur absolue mais bien relative aux conditions de l’ascension et à la localisation des voies réalisées. La qualification d’une performance ne résulterait alors que des opérations évaluatives de ceux auxquels elle est annoncée sans qu’ils y aient assisté.
Par ailleurs, l’escalade se distingue des autres sports où le résultat est en quelque sorte institutionnalisé et officialisé par l’existence et la publication d’un classement (le résultat d’un match, l’arrivée d’une course…).
La performance du grimpeur existe ainsi deux fois : dans la situation et a posteriori dans les discours.
Son énoncé repose alors sur le postulat selon lequel tout grimpeur est potentiellement digne de confiance. La verbalisation des expériences, mais aussi la mise en scène dans la présentation de soi, semblent donc tenir une place centrale.
L’importance de la verbalisation des expériences apparaît ici comme un élément déterminant, tour à tour vulnérabilité et ressource dans le travail de cadrage du grimpeur dans sa présentation. De manière liée, la vulnérabilité des protagonistes dépend de leur passé commun dans la mesure où la réserve d’informations dont ils disposent est d’autant plus restreinte que celui-ci est conséquent.
D’autre part, du point de vue de la structure des échanges à l’intérieur d’un groupe de grimpeurs, la phase de présentation de son apparence peut être inexistante, la structuration de l’équipe étant préalablement fixée au gré du développement de son histoire.

La troisième remarque est celle relative au statut des protagonistes par rapport au lieu.
L’autochtone dispose en effet d’une possibilité de fabrication de cadre par rapport à l’étranger dont l’incompétence relative à décoder le site l’oblige à solliciter un partage d’informations.
Dans ce cas, comme en l’absence de passé commun aux protagonistes, il existe une « dissymétrie du processus de communication » (Goffman, 1973 :1).
Tel est le cas de cet autochtone du Kronthal (A) qui, jouant de sa connaissance du site, indiqua une voie en 7b+ particulièrement sévère sans lui révéler la difficulté exacte, à un étranger (E) s’enquérant d’une voie en « 7b facile à faire à vue ». Selon l’expression indigène consacrée, il envoya celui-ci « au carton », le faisant même apparaître, au regard de la définition officielle de la situation, comme le bluffeur ne pouvant soutenir ce qu’il avance. A s’approche alors de la terrasse en compagnie de B pour assister à la prestation de E La croisière jaune, voie en 7b+, déversante, aux mouvements compliqués et très physiques.

E est en tête, dégaines au baudrier
E monte en étant limite à chaque mouvement. Il atteint le crux où la succession des prises de mains est capitale pour la réussite. La prise qui paraît évidente main gauche doit en fait se saisir main droite. E fait l’erreur et se démène jusqu’à la chute accomplie en jurant :
Putain, c’est nul cette voie, c’est humide ; y a plein de sable, en plus c’est hyper physique. Je croyais que c’était faisable à vue
A et B ont assisté à la scène, se détournent avant que E ne puisse les voir.
A s’en retourne en rigolant…
Une telle pratique ne semble pas spécifique aux autochtones du Kronthal quand on constate que le rédacteur du guide des sites d’escalade de France prend le soin de mettre en garde contre les pièges fréquemment tendus aux étrangers :
« sous-cotation des passages bien connus des initiés, aiguillage délibéré vers des impasses, diffusions de fausses informations sur l’équipement et même installation de pièges (pitons collés ou sciés par exemple) ; tout ceci ayant pour but de vérifier si les grimpeurs extérieurs sont aussi forts qu’ils le prétendent… » (Taupin, 1989, 14).

Cet exemple, relatif au statut des grimpeurs par rapport site, contribue à mettre en évidence « la grande vulnérabilité de l’expérience » (Goffman, 1991), tout comme la prise en compte du caractère subjectif de la cotation et l’existence d’un passé commun entre les protagonistes d’un échange.
Une fois cette première phase affirmative achevée, l’interaction entre dans une phase de maintien de l’ordre. On peut dès lors parler d’échanges « confirmatifs » consistant pour le dominant à exercer son autorité et pour le dominé à s’y soumettre conformément à l’évaluation préalable. Ceci implique alors des obligations et, réciproquement, des attentes des deux parties qui ne sont pas substituables les unes aux autres. A ce titre, les échanges confirmatifs sont asymétriques ou statutaires car ils dépendent du capital symbolique spécifique des différents protagonistes.
A la suite du constat d’une hiérarchisation des rôles, dressé dans un premier temps, se distinguent des échanges statutaires élémentaires : la séquence autorité/soumission et l’obligation réciproque et asymétrique à la « déférence » (Goffman, 1974).
Le premier exprime véritablement le lien de subordination tout en étant l’expression de la croyance en ce qui fonde cette domination.
En effet, en faisant acte d’autorité, le dominant pense y être légitimement autorisé et le dominé, en s’y soumettant, est objectivement complice. La « déférence » en revanche ne semble avoir cette fonction que pour le dominé qui célèbre là les qualités de son supérieur (« Avec la force que tu as, 8a c’est trop facile pour toi... »).
A l’inverse, les actes déférents du dominant procèdent d’une « euphémisation du rapport » (Bourdieu, 1994) car, les accomplissant, il fait en quelque sorte honneur à son rang en ne signifiant pas sa supériorité de manière outrancière à celui qui ne peut entrer dans « l’engrenage du défi et de la riposte » (Bourdieu 1972).


6. Du cadre primaire à la signification du jeu de l’escalade libre et sportive

L’identification de ces deux catégories d’échanges successifs permet, à un premier niveau d’interprétation, de mettre en évidence l’existence d’un double dispositif d’intelligibilité de la situation et d’engagement dans des rôles hiérarchisés.

C’est ce double dispositif, cognitif et pratique, communs aux grimpeurs, que l’on peut identifier comme le cadre primaire de l’escalade libre et sportive. En constatant la mise en en place d’une hiérarchisation des rôles à la suite d’une phase évaluative, on peut envisager que l’élément principal de ce cadre primaire soit ce que Goffman nomme « une sorte de formule personne-rôle » (Goffman 1991).
Cette formule est identifiable à partir du constat de la correspondance entre le niveau de performance perçu et apprécié dans la phase évaluative, et la prise d’un rôle consistant essentiellement en la soumission ou l’exercice de autorité.
Ce qui caractérise principalement la « personne » ou l’individu grimpeur est sa qualification de pratiquant, c’est à dire son niveau de performance perçu et apprécié qui fonctionne ici comme « capital symbolique » spécifique.
En référence à Pierre Bourdieu (1984), on pourrait dire que ce qui se donne à voir est « l’axiomatique » de l’espace de l’escalade libre et sportive comme croyance partagée en la légitimité d’un principe de déduction de la position des grimpeurs en son sein, à partir de leur niveau de performance perçu et apprécié .
De manière liée, on peut dire que le processus dialogique de production d’impressions et de décodage d’expressions qu’est la présentation de soi, résulte de la mise en œuvre d’un système de classement propre à chaque grimpeur.
Celui-ci dépendrait de sa position dans l’espace de l’escalade libre et sportive, elle même dépendante du « capital spécifique » (Bourdieu, 1979) de l’agent, c’est à dire l’ensemble de ses propriétés opérantes dans celui-ci.
La mise en œuvre de ces systèmes de classement apparaît avec la possibilité d’une identification différentes catégories de prises de position dramaturgiques, relatives à la représentation que les acteurs ont des critères d’excellence, et de leur propres position par rapport à ces critères.

En premier lieu, se distinguent ceux qui n’ont à être ce qu’ils sont pour être ce qu’il faut être dans la mesure où ils satisfont aux critères d’excellence. Ils se caractérisent alors par l’absence de relief dramatique conféré à leur apparence, comme dans le cas de ce grimpeur qui, après avoir réussi la voie la plus dure d’un secteur, s’en retourne sans participer à la célébration de sa performance par les acteurs présents. Affectant une certaine distance au rôle, ce grimpeur semble totalement indifférent à la conséquence de sa réussite sur la définition de la situation.
Les « star du rocher », tels qu’ils sont désignés par les autres participants, constituent une seconde catégorie. Leur travail figuratif permet la lisibilité de leur stratégie d’investissement de l’activité consistant à tenter d’assurer leur salut social, par la reconversion de leur capital symbolique spécifique en capital économique, par le biais du sponsorisme, ou pour d’autres, par l’acquisition d’un brevet de compétence spécifique.
La troisième catégorie regroupe les grimpeurs qui, de manière palliative de leur incompétence et subversive revendiquent une autorité qualifiable d’hétérodoxe car non fondée sur leur niveau de pratique en tout lieu et à tout moment. La figuration de « l’équipeur » du site peut être interprétée de la sorte dans la mesure où, ne pouvant exercer une autorité de par son niveau de pratique, il trouve un pouvoir de contrainte dans son activité de production d’une offre d’itinéraires d’escalade qui conditionne l’existence du jeu.
Dans la même perspective, les anciens se posent en représentants de la loi, en se fondant sur l’éternisation de leur valeur passée : « pour être ce qu’il faut être, il faut avoir été ce qu’il fallait être ! » Enfin, pratiquant à l’identique ce que l’on pourrait nommer l‘absolutisation du relatif, les grimpeurs qui fréquentent exclusivement le site du Kronthal revendiquent que ce qu’il faut être sur ce site ci, est ce qu’il faut être en escalade. Ainsi ce qu’ils font et ce que font leurs adversaires défaillants serait dans l’absolu représentatif de leur valeur passée et à venir, ici comme ailleurs. La forme la plus aboutie de cette sédentarité semble alors être l’escalade « après travail » de certains autochtones qui, pendant près d’un an, répètent un à un les mouvements d’une seule voie, fréquentée quasiment à l’exclusion de toute autre, avant d’en réussir l’enchaînement validant la réussite de l’ascension.
A la suite, il est également possible d’identifier les acteurs dont on peut attester la tendance à devancer l’être par le paraître. Tout se passe comme si le relief dramatique important conféré à leur panoplie vestimentaire et matérielle suffisaient à les faire apparaître comme des grimpeurs forts.

Enfin la dernière catégorie est celle des grimpeurs qui revendiquent une position hors jeu : « moi, le six ça me suffit » ; « ce qui m’intéresse, c’est la montagne » ; « ils font peut être du 8 mais en montagne, ils montent pas d’un pet » ; « je fais aussi du vélo alors, on peut pas être fort partout... ».
De manière palliative, est justifiée, ici, l’incompétence à jouer le jeu tel qu’il se joue sur le site du Kronthal.
Ces différentes catégories permettent d’entrevoir que toutes les revendications stylistiques peuvent se comprendre, sur le lieu de l’action, comme autant de manières de se positionner par rapport aux plus performants, reconnus comme étant ce qu’il faut être, et dont le style de pratique est, à ce moment et en ce lieu, le style de pratique orthodoxe. L’observation permet de voir que conformément au principe consistant à « faire de nécessité vertu » (Bourdieu, 1979), les prises de position stylistiques des grimpeurs sont en adéquation avec ce qu’ils sont en mesure de produire, dans le jeu tel qu’il s’actualise ici et maintenant. Mais on doit également envisager qu’à l’origine de ces prises de positions se trouvent les représentations que ces agents ont de l’espace considéré, et en particulier du profit escompté à partir de leur investissement, comme pour ceux qui tentent la reconversion du capital symbolique et spécifique acquis. Les échanges « affirmatifs » apparaissent alors comme les lieux privilégiés de l’objectivation de la position des agents investis dans cet espace, dès lors que, conjointement à leur étude, on convoque l’histoire de ces derniers.


7. Discussion

A l’issue de cette recherche, il est possible de revenir sur les apports respectifs et non substituables de Erving Goffman et Pierre Bourdieu.
Dans le cadre de ce travail, le recours aux catégories goffmaniennes se limite au premier temps de la démarche.
Ces catégories apparaissent ici particulièrement opérantes dès qu’il s’est agi de décrire les phases de la présentation de soi, et donc de distinguer les différentes catégories d’échanges permettant de parler d’une formule personne-rôle.
La pertinence descriptive apparaît quand, de manière liée, il nous a été possible de mettre en évidence le travail de cadrage effectué par les acteurs, qu’il soit relatif à la présentation de soi ou à la mise en forme symbolique de l’activité par le recours à la communication hors cadre comme mode actif de relation.
Néanmoins, la portée explicative du modèle de Goffman semble se limiter au constat de l’existence d’un « couplage flou » (Goffman, 1987) entre l’ordre spécifique du jeu de l’escalade libre et sportive et « l’ordre de l’interaction ». Il a pu ainsi être mis en évidence que le cadre primaire de l’activité, caractérisé avant tout par sa formule personne-rôle, s’actualise en fonction du lieu de l’action défini dans sa dimension physique (le site, la voie) et par la configuration interactionelle des joueurs présents.
La vulnérabilité de l’expérience inhérente à l’ordre flou présidant au travail de cadrage du lieu par les grimpeurs permet d’envisager, comme le rappelle Isaac Joseph, que « les cadres sont aussi bien des dispositifs d’attribution du sens que des pièges et des manipulations » (Joseph, 1989, 14).

Mais, à un deuxième niveau, dès qu’il s’agit de donner du sens à l’existence de tels échanges, le seul recours au modèle de Goffman semble trouver ses limites. En revanche, le développement de la perspective de Pierre Bourdieu permet d’aller au delà de la description et de voir que « la vérité de l’interaction n’est jamais tout entière dans l’interaction telle qu’elle se livre à l’observation » et qu’elle « cache les structures qui s’y réalisent » (Bourdieu, 1987, 151). En l’occurrence, l’étude des interactions permettrait la mise à jour du principe compétitif qui structure les échanges entre les agents investis dans le jeu de l’escalade libre et sportive. En outre elle permet de désigner leurs prises de position dramaturgiques et stylistiques comme l’expression métaphorique de leur position dans l’espace de l’escalade libre et sportive .
Il y aurait cependant lieu d’aller plus loin que l’interprétation des comportements de ces grimpeurs, en s’interrogeant sur la nature et la genèse de leurs représentations des enjeux de l’escalade libre et sportive. Un tel programme supposerait alors que l’on ne les considère pas uniquement comme des grimpeurs, mais bien comme des agents sociaux. Agents dont les caractéristiques sociales détermineraient leur intérêt à investir une pratique qui laisse une large part à la théâtralisation de son apparence et serait à ce titre le lieu privilégié d’un « idéalisme interactionniste » (Bourdieu, 1979) dans la mesure où tout s’y passe comme s’il suffisait de paraître ici et maintenant comme le plus fort de tous pour l’être réellement.

Aubel Olivier




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