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Yann Corby


Une année d'escalade [septembre 2009 - octobre 2010]

Texte : Florent Wolff - Photos : Florent Wolff, Pierre Bollinger


#6 Etats-Unis : gorges et déserts

[Récit du 7 janvier 2010]


Motor River Gorge
On nous avait prévenu ! Virgin River Gorge, c'est certes un calcaire magnifique, "le plus beau d'Amérique du Nord", mais dans un environnement bruyant. Non pas que lesdites gorges soient laides, bien au contraire, mais elles sont traversées par l'Interstate (comprendre "autoroute") 15 qui relie Salt Lake City au nord, à Las Vegas au sud. Vous grimpez donc dans l'incessant brouhaha des trucks multi-remorqués en montée, dans le vrombissement des V8 des pick-up, hâtivement conduits par des conducteurs impatients d'arriver à Vegas, 100 miles au sud. Avec ma longue expérience du Kronthal, je pensais être habitué à l'escalade du bruit ; mais à Virgin, les moteurs sont plus gros, plus nombreux, plus près, et, dernier coup de poignard sur nos tympans meurtris, les gorges amplifient le vacarme. Welcome to VRG !
Passé ce furieux tapage, il vous reste encore à vous garer à l'arrache le long de l'autoroute (attention aux Mustang qui déboulent derrière vous !), et à passer sous celle-ci (bouchez-vous les oreilles). Petit aparté strasbourgeois : l'ambiance des dessous du feu Pont Churchill à minuit était presque bucolique en comparaison.


Virgin, ses gorges, sa falaise, son highway - Florent, entouré des cerbères de Virgin

Hard River Gorge
Le site de Virgin est réputé pour accueillir une des vois les plus dures du pays, Necessary Evil, un 8c+ ouvert par Chris Sharma en 1997, à l'âge canonique de 16 ans. Première surprise ; cette voie d'une trentaine de mètres est à peine déversante, ce qui est rare pour un itinéraire de cette difficulté. La plupart des voies de Virgin répondent d'ailleurs à cette description : dures (pour profiter au maximum du site, je recommanderai d'être un grimpeur "de 8"), longues et peu raides. Les prises (de pied et de main) sont certaines fois si petites que nous avions l'impression d'être dans notre chère carrière du Gauxberg. Force dans les doigts, gestion d'un effort long, précision dans les placements, lucidité ; autant de pré-requis pour bien grimper ici. Et apprêtez-vous à pleurer vos doigts ensanglantés. Car si le calcaire de Virgin est d'une rare compacité, il a une vile tendance à trancher votre précieux épiderme digital.


Un grimpeur américain dans Fall of Man (8a), Virgin River Gorge


Ultime combat : la météo. S'il ne pleut à peu près jamais ici, les conditions n'en sont pas moins délicates. Les meilleurs secteurs sont à l'ombre toute la journée (et au soleil, il faisait pour nous trop chaud pour grimper) mais les gorges sont très régulièrement balayés par un vent furieux. Glaciales rafales qui nous gelaient les phalanges au bout d'une quinzaine de mouvements, alors que nous n'étions qu'au quart des voies... Nous avons développé quelques stratégies pour lutter contre le froid, à lire dans ce petit article.

Est-ce pour tout cela que le site n'est pas très populaire ? Quelques cordées, principalement des locaux, se partagent la falaise, et nous nous sommes certaines fois aussi retrouvés seuls. Si ma description peut sembler quelque peu critique, ne nous méprenons pas ; les voies ici, nonobstant leur exigence, sont superbes et parcourent un rocher excellent. Le site mérite donc bien un détour prolongé mais ne constitue pas, à lui seul, une destination en tant que telle pour un européen. D'autres sites calcaires existent à Saint Georges, une vingtaine de miles au nord. Les locaux nous les ont recommandés mais aussi prévenus qu'il risquait de faire (encore !) plus froid, car plus en altitude... Et les amateurs d'escalade traditionnelle ne manqueront les terribles fissures gréseuses de Zion Park, à quelques encablures au nord.

Singing in the Gorge
Pour terminer notre description de l'escalade à Virgin, je ne peux manquer d'évoquer l'ascension de F-Dude par Pierre. Très classique, ce 8b+ est une interminable combinaison entre un 8a+ et deux 8a. Elle réclame une excellente continuité, ainsi qu'une grande lucidité, notamment dans les quinze derniers mètres qui se déroulent sur un mur moins que vertical. C'est dans cette section que Pierre a usé de tous les stratagèmes pour se calmer, et venir à bout de ce mur affreusement technique. Il a commencé par chanter, quelques-uns des "tubes" que nous avons inventé durant le périple, puis s'est parlé, se convaincant qu'il était "fort", qu'il ne pouvait "pas tomber". Un long combat mental qu'il a comparé à celui qu'il avait éprouvé lors de son enchaînement de Speed. J'ai rarement vu Pierre aussi soulagé d'avoir atteint le relais.


Pierre, avant un essai dans F-Dude (5.14a) - La popote du soir à Mesquite, au nord de Virgin


Au grès du pêcher
"Las Vegas 98 miles". Le panneau nous narguait alors que nous squattions, perdus dans les zones arides de l'Arizona. À l'invitation de Pete, un ami anglais installé dans l'Ohio et de passage à Vegas, nous nous décidons à le rejoindre, pour grimper à Red Rock, à une quinzaine de miles de la ville. J'avais découvert "Sin City" ("la ville du pêcher") il y a presque 15 ans. Depuis, Vegas a énormément changé, son taux de croissance, économique et démographique, est l'un des plus élevés des Etats-Unis. Avec "seulement" 600 000 habitants, Vegas est la première ville hôtelière au monde, avec 140 000 chambres d'hôtel dont le plus grand au monde, avec plus de 7000 chambres. Chaos urbain où le superlatif reste un euphémisme, Vegas ne ressemble à aucune autre ville. À l'image de son développement urbain, l'architecture y est tout aussi anarchique ; vous y trouverez des répliques de la pyramide du Luxor, de New-York, de Paris, de Venise, de Monaco, d'un château médiéval... Du Disneyland modélisé à l'échelle d'une ville, pandémie d'un fake climatisé, suprême manifestation de la régression ludique. Mais je dois avouer que le laid, certains diront l'obscène, déployé à de tels sommets, fascine.


Vegas, de la vie et du vice


On nous avait mis en garde ; Vegas est très touché par la crise, les prix de l'immobilier ont fondu de 40% en moins d'un an, les touristes -fauchés avant même d'avoir mis un pied derrière une machine à sous- se font plus rares, etc. Quelle ne fut pas notre surprise alors que nous déambulions la première fois sur le Strip (l'avenue centrale de LV) d'être noyés dans une marée humaine permanente, étrange melting pot social où le nouveau riche convoyé en Hummer jaune à 10 portes côtoie le clochard claudiquant de son caddie. La crise ne semble pas avoir modifié outre-mesure les comportements. La carte Gold continue de brûler autant que le sable de la Vallée de la Mort un jour d'été à midi.
Au-delà des casinos, qui peuvent (doivent) vous plumer rapidement (touchez-en un mot à Pierre qui a dû péniblement se débarrasser de son penchant pour la roulette...), on aimera (surtout) Vegas pour ses spectacles vivants (le choix est énorme) et pour sa vie nocturno-festive (le choix est énorme, bis). Vegas, de la vie et du vice.

Roches rouges
L'un des défauts de Red Rock est, vous l'aurez compris, sa proximité avec Vegas. Pas toujours évident d'être en forme et motivé pour grimper. Ce d'autant plus que la température chute rapidement dès que vous quittez l'agglomération de Vegas. En une quinzaine de miles, vous pouvez perdre jusqu'à dix degrés. Et, pas de chance, les voies qui nous intéressaient le plus étaient à l'ombre, où le mercure décolle péniblement du zéro... Pour un séjour de plus d'une semaine, je recommanderai davantage le site -immense- pour des grimpeurs de 6 & de 7 ; dans ces niveaux, le choix est conséquent et vous pouvez plus facilement jongler avec les orientations. Vous pouvez grimper torse nu au soleil, à la condition que le vent ne souffle pas, car celui-ci est souvent glacial en hiver.
Malgré sa proximité avec une agglomération bi-millionaire (le soir venu : vous apercevez d'ailleurs très bien l'auréole de lumière polluée au-dessus de Vegas), Red Rock est aussi sauvage que magnifique. Boules de grès aux couleurs chaudes, jaunes ou rouge, parois de plusieurs centaines de mètres dressées dans un désert aride, à la végétation rare mais surprenante. Sur un grès généralement compact mais certaines fois sableux, l'escalade se déroule dans une sérénité enviable, dans une émouvante beauté.


Secteur Trophy, Red Rock


Les voies sont peu déversantes donc réclament des "doigts". Avatar de ma pratique nord-vosgienne, je fus moins dépaysé par le style d'escalade ici que partout ailleurs durant notre séjour nord-américain. Avec Smith Rock, Red Rock est le site d'escalade le plus beau que j'ai vu aux États-Unis.


Pierre dans un 6b, Red Rock


Préservation de l'environnement : une situation paradoxale


En Amérique du Nord, le rapport à l'environnement et à l'écologie est pour le moins ambivalent, voire paradoxal. Aux États-Unis, on sacre la (sur)consommation et la voiture, généralement encombrante et polluante. La plupart des villes s'étalent bien trop pour permettre l'émergence de modes de déplacements alternatifs et efficaces, tels les transports en commun et les vélos. Ville de tous les excès, Las Vegas doit faire face à des pénuries d'eau croissantes, de par son implantation au coeur du désert, et aussi ses spectacles aquatiques gigantesques...
À côté de cela, cohabite curieusement un vrai souci du respect de la nature. Dans la droite lignée du célèbre naturaliste John Muir,



qui, dès la fin du 19e siècle, fonda le Sierra Club pour préserver la vallée du Yosemite, les organisations de préservation sont nombreuses et puissantes. En 1872, le parc de Yellowstone devint le premier parc national naturel du monde. Aujourd'hui, les États-Unis comptent 58 parcs nationaux. À l'origine de ces préocuppations environnementalistes, la beauté des grands espaces américains bien sûr, et aussi sans doute, l'éthique préservationniste selon laquelle la beauté de la Nature stimule les sentiments religieux... El Capitan peut être vu comme une manifestation de l'existence divine !
Les grimpeurs furent logiquement influencés par ces courants ; il n'est pas étonnant que le style d'escalade traditionnel,



sans équipement en place, soit très populaire en Amérique du Nord. J'applaudis également la propreté des falaises que nous avons visitées, et la présence, quasiment systématiques de toilettes (certaines fois à compost, dans les endroits les plus isolés) qui garantissent de ne pas être "emmerdé"... Pour conclure, mon impression est que les américains ont à apprendre des européens (et des autres... car nous sommes loin d'être des modèles) pour ce qui de la planification urbaine et d'une réduction globale des consommations, mais nous avons certainement à apprendre d'un meilleur respect "localisé" (car pour ce qui est de l'impact global, le calcul est différent) de la nature.




This Is The End
5 jours après Noël, 4 jours après avoir fêté mes 30 ans, tombait notre date "couperet", celle de l'expiration de notre visa états-unien. Passé cette date, nous devenions persona non grata sur les terres d'Obama. Le 28 décembre, dans la beauté froide du désert minéral de Red Rock, nous parvenons à enchaîner nos derniers projets avant de prendre la route. 66 heures plus tard, après avoir affronté quasiment toutes les péripéties routières possibles (une tempête de neige qui nous a bloqué 6 heures en Californie, bouchons inter-minables, accidents, etc.), nous regagnons le Canada par la côte ouest. À Vancouver, nous vendons à un vieillard hongrois notre Dodge, qui fut notre maison des 4 derniers mois. La pluie, quasi incessante ici, me permet d'écrire ces dernières lignes de notre voyage américain, à défaut de faire nos adieux à Squamish où nous étions arrivés le 2 septembre. La boucle est bouclée, retour à la case départ après avoir empoché non pas 20 000 francs, mais un nouveau regard, et des souvenirs pour le restant de nos vies, au rythme des rochers et des rencontres.

A suivre....sur un autre continent.





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       Les habits de Pierre et Florent      
   








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