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© Escalade Alsace
Yann Corby




«Mes années Jean-Minh»

Les récits et impressions qui vont suivre concernent la période 1997/2000, durant laquelle j'ai été l'un des principaux compagnons de cordée de Jean-Minh. Cela ne représente donc qu'une petite période de sa carrière de grimpeur, principalement entre son retour d'Aix-en-Provence et son interruption momentanée. Il n'y a par ailleurs dans ces évocations aucune prétention, aucune exhaustivité, aucune objectivité.

Notre premier contact fut téléphonique ; au printemps 1997, Jean-Minh cherchait du monde pour grimper et il se trouve que j'étais à ce moment là disponible, comme les 3 ou 4 années qui ont suivies, par la grâce de mes études et du peu d'heures de présence requises à la fac à partir de ma licence en mathématiques. J'étais dans mes petits souliers car il était à ce moment une sorte de star, en tout cas dans notre microcosme des grimpeurs locaux, revenant auréolé de succès improbables pour la plupart d'entre nous. Mais la glace fut vite rompue, Jean-Minh étant d'un abord des plus simples. Et de toute façon, ce qui comptait à ce moment était mon niveau d'assurage : tout à fait honorable ! Première sortie dans la Pfalz donc, au Dürrenstein et à l'Asselstein, sur les traces de maître Wolfgang.
Rendez-vous fut donc pris, et, une des grandes constantes de la suite de nos aventures, tenu.
Car voilà une des premières et grandes qualités de l'intéressé : il fait ce qu'il dit !
Première anecdote : nous mangeâmes, comme il se doit,au Bärenbrunnerhof, et je fus alors fort surpris de la quantité de charcutaille qu'il s'enfila...Moi qui pensais que les grimpeurs étoiles mangeaient des miettes, j'en fus pour mes frais. Moultes barbecues plus tard, j'en suis au même point !

Ce qui m'a immédiatement frappé était la passion qui l'habitait pour la grimpe. Un trajet en voiture n'était jamais ennuyeux, car la conversation pouvait durer des heures autour de l'escalade. Ses connaissances, contrairement à une partie des miennes, n'étant pas encyclopédiques, mais pratiques. Il fallait juste s'adapter à ses goûts musicaux du moment, il était assez monomaniaque en la matière à cette époque. Ramstein en boucle jusqu'à Rodellar, ça fait long… Mais à son crédit, il écoutait Brassens sans rechigner dès que c'était moi qui roulais.

Premiers voyages marquant : la Tchéquie (avril puis septembre 97)

Une proposition vite acceptée : grimper en Tchéquie. Et voilà une autre caractéristique de Jean-Minh : aller où les autres ne vont pas, ou peu. Nous sommes partis avec un pauvre topo d'un vieux Vertical, et avons atterri à une falaise nommée Panthéon. Après une nuit dans la voiture, réveil à la falaise, sous la neige d'ailleurs au mois d'avril. Et voilà l'occasion d'évoquer deux autres caractéristiques de notre spécimen : sa (relative) petite taille doublée d'un penchant naturel pour la sieste fort marqué lui permettent de dormir n'importe où, n'importe quand. On lui parle, il répond, on lui reparle, …et il dort. Combien d'heures ai-je passé à attendre son réveil… Deuxième point, quand il le veut, (et seulement quand il le veut) c'est l'un des êtres les plus sociables que je connaisse. Au bout d'une heure, copain comme cochon avec la moitié de la falaise, (c'est tout juste s'il n'avait pas appris le Tchèque) ce qui nous emmène de proche en proche à Dolni Zleb . Nous y retournerons une bonne semaine à l'automne, ce qui lui permettra de répéter toutes les voies dures, pas encore nombreuses, du secteur.

Et puisque le sujet est avant tout l'escalade, il a su utiliser à merveille dans l'Elbsandstein un de ses dons, peu commun, celui de grimper avec calme quelle que soit la distance qui le sépare du dernier point, pleinement concentré sur ses mouvements.
Tout le monde peut engager quand il est 4 ou 5 cotations en dessous de son niveau. Peu nombreux sont les grimpeurs qui le font pas trop loin de leur maximum, et Jean Minh en fait clairement partie.
Sa chute dans Gaïa a d'ailleurs montré qu'il a poussé le jeu très (trop ?) loin. Nous partions à vue dans des voies sans vraies connaissances des cotations, nos notions de tchèques étant limitées et le topo, un vague brouillon manuscrit trouvé au bar, très lacunaire...

La face sud du fou (août 98)
De sorties en sorties, nous nous sommes apprivoisés. Ma passion alpine étant à ce moment irrépressible, je lui propose d'aller grimper à Chamonix et suggère la face sud du Fou ; une grande voie prestigieuse de rocher.
Arrivé au refuge de l'Envers, il feuillète les topos, et remarque qu'il y a plusieurs voies. Je blêmis. La voie américaine ne le motive pas plus que ça. 7a max… : De la marche, quoi ! Et c'est parti pour " les ailes du désir " 7c+ à 3500m. J'essaye de lui expliquer que ce n'est pas possible pour moi. Mais, comme dit plus haut, pas la peine de discuter, il a la solution : une poignée jumar, qui m'a effectivement permis de suivre. Mais sur un brin de rappel, dynamique, en 8 mm. Et je pense avoir assuré là le plus grand vol de ma carrière. La longueur en 7b passe à vue. Suit celle en 7c+. Et là, c'est vraiment la bataille. Pas du pipeau, c'est une voie du type Piola, il y a quelques points dans les longueurs, mais ce n'est pas prévu pour travailler le passage. Et, contre toute attente, une chute. Ce qui peut arriver au meilleur. Au moins 20 mètres…
Ce qui m'a marqué, c'est la suite. 30 secondes de pause, et on y retourne. Comme si on était à Marlen'. Or, cela va sans dire, ambiance à faire passer Pichenibule pour le Mühlberg. Rien qu'à assurer, (les relais sont ce qu'ils sont en montagne, mais là, pas la moindre vire pour caler une fesse) on espère redescendre le plus vite possible. Jean-Minh s'en fiche, il repart et enchaîne. Un peu fatigué toutefois, c'est l'une des seules fois où il me demande de passer le premier…pour la descente dans la nuit ; ce qui m'a donné l'occasion de planter quelques pitons pas loin au-dessus de la rimaye.

Clandestino (février 99)
La sortie précédente était aussi une façon de tester notre cordée dans un environnement alpin, en vue d'une expédition au Chili en février 99, menée avec Toni Arbones le célèbre grimpeur de Siurana. Ce fut une fois de plus l'occasion de voir un grand grimpeur à l'œuvre, enchaînant des longueurs en 7b/7c dans un gaz impressionnant, loin au-dessus du glacier. Avec une nouvelle fois ce désir d'innover et de sortir des sentiers battus, nous avons ouvert une voie loin de tout, entre condors et lamas, avec une longue approche. Et effectué tous les portages tous seuls, au prix de nombreux aller-retours. Toujours cette volonté de " purisme ". Il est probable d'ailleurs que Clandestino n'aie jamais été répétée…
Ce dont je me souviens est le calme perpétuel de Jean-Minh, en toute circonstance. Bien que j'aie probablement dû par moment l'agacer parce que je n'avançais pas assez vite, vu l'écart de nos niveaux en escalade pure, il ne me l'a jamais fait remarquer.
L'anecdote est ici que, si nous étions bien équipés en coinceurs, pitons et cordes en tout genre, nous avons été très mauvais en ce qui concerne les prévisions de nourriture. En fait, si une des longueurs n'a pas pu être libérée, c'est entre autres parce que nous n'avions plus rien à manger. Vraiment, vraiment rien. Toni, de guerre lasse, est descendu une journée avant nous. Et nous avons plié le camp le lendemain. Et découpé un tube de miel pour en lécher l'intérieur, en buvant le reste d'huile qui nous restait. C'était tout. Départ pour une journée de marche, avant d'arriver dans la vallée et de manger des baies.



Nicolas et Jean-Minh : À la montée pour 3 jours dans la face à l’ouverture de Clandestino - Au pied du Plomo, un sommet à 5500m fait après Clandestino


Et la falaise ?
J'imagine que les lecteurs restent pour l'instant sur leur faim en ce qui concerne l'essentiel de ce à quoi on peut s'attendre : la falaise et le haut niveau.
Sur ce point, je ne suis probablement pas le meilleur témoin. Jean-Minh avait l'essentiel (me semble-t-il, qu'il me pardonne) de ses réalisations majeures derrière lui quand nous avons commencé à grimper ensemble, ce qui explique peut-être la diversité de ses pratiques à ce moment-là.
Nous n'en avons pas moins énormément grimpé ensemble, et ce fut pour moi une période faste en découvertes de sites les plus divers : http://www.escalade-alsace.com/ailleurs/Franken_fev08.php, Elbsandstein, la Slovénie, Rodellar, Siurana, et même Freyr dans le plat pays, (que personne ne rigole avant d'y avoir mis les pieds, plus que les mains d'ailleurs). En plus de la Pfalz et des sorties locales.

Je l'ai assuré sans réussite malheureusement, dans Action Directe et dans la Rambla. Avec succès dans un nombre incalculable de 8a/8b, mais ce n'était plus vraiment un enjeu à ce moment.
Je garde avant tout le souvenir d'une science de l'escalade que je n'ai jamais retrouvée chez personne, il me donnait parfois les méthodes, du sol, dans une voie qu'il n'avait jamais faite, (car trop facile) : " Nico, tu es à l'envers, parce que……. " Et c'était juste. Ça l'est toujours encore à Hueco, mais là, il triche, c'est lui qui visse les prises !
J'ai donc plus connu un Jean-Minh voyageur des falaises que travailleur de voie.

Quelques souvenirs plus ou moins en vrac
A Rodellar, pour préparer le Chili, il avait décidé de vérifier si le port du casque ne gâchait pas le plaisir. S'en suit une journée de à vue ubuesque, au cours de laquelle il n'a pas quitté son heaume. Evidemment, au départ, les grimpeurs locaux présents, (comme ce cher AK l'aurait fait), le prennent pour un cafiste teuton de base, et sans rien dire, se demandent si l'on ne s'est pas trompé de secteur, voire de site… Différence notable, ce cafiste s'échauffe dans le 7b , puis enchaîne " on sight " un 7c, puis un 8a, puis un 8a+… Debriefing avec les grimpeurs sur place…Jean-Minh parle mieux espagnol que tchèque finalement. Au Brötsch, dans sa (courte) période éducation nationale : arrivée tardive après la bataille, il pose son sac. Il met ses chaussons, puis escalade et désescalade 3 fois le Traité de déversification, sans pause. A l'époque, personne ne doutait de la cotation 8a.
Et quelques-uns avaient travaillé la voie toute l'après-midi.

Printemps 98 : je prépare les oraux de l'agrégation de mathématiques, il travaille en travaux acrobatiques je ne sais plus trop où à la fac. Nous devons tous les deux être à 9 heures au poste. Qu'à cela ne tienne, départ à 5 heures, séries à la frontale dans Fausses fractures, les Pourritures terrestres, et dans la Terre à la Une. En basket, parce que sinon ce n'est pas drôle.
Retour comme prévu. Comme quoi, il peut se lever tôt.

Et alors, il est parfait ?
Non, bien entendu. Le début du texte peut passer pour un panégyrique. A nuancer un petit peu, sans quoi ce papier ressemblerait à un portrait de Kim Jong-un dans la presse nord-coréenne.
Comme évoqué plus haut, il fait ce qu'il dit. Mais très difficile de lui faire faire autre chose. Alors qu'il gambade dans le 8c, on peut toujours rêver pour qu'il monte une corde à quiconque dans un 7a si ce n'est pas dans ses projets du jour. On a une petite chance si c'est une voie historique, un 7a de Wolfgang Güllich ou de Kurt Albert. Mais sinon, pas la peine d'essayer.
Ma liste est donc pleine de ses voies d'échauffement, car, si on demande gentiment, il condescend à ne pas tirer la corde, ce qui permet de travailler la voie et d'enchaîner dans la suite du séjour, comme j'ai eu la chance de le faire dans l'Elbsandstein, après installation de chasses d'eau dans le crux. Dans le même registre, moi qui rêvais de profiter de ses méthodes, difficile de le déplacer dans une falaise locale. Il avait fait les croix, donc ça n'existait plus. Tant pis pour mes projets…

Par ailleurs, c'est par moment un photographe impénitent.
Plus d'une fois, je me suis demandé si la prise de vue n'était pas plus importante que la grimpe : un comble ! Sommet atteint au Chili, où, comme raconté ci-dessus, les vivres venaient à manquer. Une journée fut néanmoins consacrée aux prises de vues…A l'époque, il avait des sponsors… Je ne crache pas dans la soupe, nous sommes nombreux à en avoir profité ! C'est presque un sujet de philo : la description future de l'action peut-elle être aussi importante que l'action elle-même, au risque de la perturber ? On n'est pas loin du chat de Schrödinger…

Enfin, son côté volontariste et entier peut parfois le conduire à des décisions trop rapides et unilatérales.
Chez nous, difficile de passer sous silence l'épisode du " rocher frontière. " (Eppenbrunner Altschlossfelsen).
Une ânerie, avec le recul. C'est Momo, entre autres, qui a dû nous expliquer qu'on avait fait une boulette, ce qui en dit long.
Résumons l'histoire : on trouve un rocher, on l'équipe, sans rien demander à personne. C'est en Allemagne, et on s'en fout un peu.
Au risque de mettre à mal l'équilibre instable entre grimpeurs et protecteurs (mon cul) de la nature.
J'ai les noms des meneurs…
Un grand regret pour moi, qui avais réfléchi longtemps au nom de mes créations. " Au pan, suspends ton vol " et les autres, parmi lesquelles la si belle " coma idyllique " (de Florent je crois) ont été déséquipées.

Le récit finira par une grande incompréhension : son arrêt brutal, et longtemps tenu, de la grimpe. Nous étions quelques-uns à être brutalement orphelins. L'échec dans une voie extrême (l'appel de la forêt) m'a toujours paru suspect, il devait y avoir une certaine lassitude, pas forcément de l'escalade, mais de tous les à-côtés, auxquels, qu'il le veuille ou non, il était soumis. Mais je ne suis pas dans le secret des dieux… Heureusement, il s'y est remis !

Il faut bien conclure.
Jean-Minh a été pour moi un maître Yoda, aussi énigmatique par moment que le personnage. Mais un vrai maître.
Contrairement aux conventions, je ne l'ai pas dépassé. À l'impossible, nul n'est tenu !







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