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© Escalade Alsace
Yann Corby


L’interview des grimpeurs alsaciens
Propos recueillis par David


Aussi souvent que possible, escalade-alsace.com aura le plaisir de vous faire découvrir un grimpeur/une grimpeuse du cru alsacien. A travers quelques questions types, découvrez ou redécouvrez ces personnages que vous avez déjà pu croiser au détour d’une falaise de notre région.
Aujourd'hui, c'est le tour d'Emilie Haderer : l'une des trop rares filles en Alsace à manifester une forte envie de falaise et d'y progresser. L'Alsace étant désireuse de voir ce nombre de femmes augmenter, escalade-alsace.com s'est donc réjouie d'essayer de connaître les raisons qui font la motivation d'Émilie, afin, peut-être, de susciter plus d'intérêt de la gente féminine pour l'extérieur.




Émilie [Photo : David Hollinger]


Escalade-Alsace : Quel âge as-tu ? Que fais tu dans la vie ?

Émilie : J'ai 35 ans, je suis technicienne de recherche en biomédical au sein de l'entreprise BioRad.

EA : Quelles sont tes passions ?

Émilie : À vrai dire, l'escalade est ma seule et unique passion. Il y a cependant des activités que j'apprécie particulièrement, mais qui n'occuperont jamais autant de place dans mon coeur que celle occupée par l'escalade ! J'adore faire la cuisine, me documenter en gastronomie française, visiter les restaurants étoilés et les winstubs. Je suis très fière d'être alsacienne et j'apprécie profondément le terroir alsacien. En parallèle à cela, passer de bons moments avec ma famille et mes amis me tient tout particulièrement à coeur. Je suis également une très grande fan des Rolling Stones, aussi j'aime passer du temps à savourer leur musique, leurs vidéos et leurs livres.

EA : Tu grimpes depuis longtemps ? Souvent ?

Émilie : Oui, je grimpe depuis une décennie déjà; prise de passion dès le début, mon rythme de grimpe n'a que très peu varié au fil des années. Depuis toujours, je m'entraîne deux soirées par semaine et je vais en falaise le samedi et le dimanche. Par ailleurs, le temps des vacances est également consacré à l'escalade.

EA : Comment as tu commencé ?

Émilie : Il y a donc dix ans, avec mon groupe d'amis de cette période, nous avons eu envie de pratiquer un sport tous ensemble, en extérieur, et si possible, une activité un peu originale, sortant de l'ordinaire... Après un brainstorming poussé et quelques consultations sur la toile, la pratique de l'escalade s'est révélée être la candidate parfaite, en adéquation avec nos envies. Google nous a fournit la liste du matériel nécessaire, la théorie pour évoluer dans une voie d'escalade et le topo des VDN. Après un petit crochet par Décathlon, chaussons Queshua aux pieds et un bon câble en guise de corde, nous nous sommes retrouvés au pied des voies du sacro-saint Windstein, et notamment de 'Panthère Rose'. Après cette (épique) journée inoubliable, la visite de toutes les falaises des VDN était devenue notre priorité. Ma passion pour l'escalade naquit en ce jour mémorable, et elle ne m'a plus jamais quitté. J'ai alors rencontré Thomas Wendling, qui a joué un très grand rôle dans mon perfectionnement, sur tous les aspects : sécurité, manipulation de corde, assurage, travail de voie, entraînement ect...Puis j'ai pu faire la connaissance de tous les grimpeurs et grimpeuses formidables qui m'entourent aujourd'hui, et qui m'aident à m'améliorer continuellement.

EA : Qu’est ce que représente l’escalade pour toi? Qu’est ce qu’ elle te permet dans la vie? Qu’est ce qu’elle te procure ?

Émilie : L'escalade représente pour moi une profonde source d'épanouissement, par ce qu'elle créée directement, mais également par tous les effets indirects positifs induits par sa pratique.

L'escalade me rend heureuse car elle m'aide à développer et maintenir la confiance en moi et envers les autres. L'escalade est en effet une activité très sociabilisante, par laquelle des liens très forts peuvent se créer entre des personnes. Cela m'apporte une grande plénitude.
J'aime pratiquer l'escalade sportive à mon niveau maximal et je suis constamment à la recherche d'objectifs concrets. L'enchaînement de voies difficiles qui me tiennent à coeur constitue cet objectif; le dépassement de soi que cela exige est pour moi une véritable source de délectation. Et lorsque j'atteinds cet objectif, je ressens de grandes émotions qui me font vibrer; le fait de pouvoir partager cette effervescence avec son groupe d'amis grimpeurs est fabuleux.

Plus rationnellement, la pratique de l'escalade est avant tout un sport. Avant la grimpe, je n'avais jamais été sportive, car dans mon esprit, le sport était synonyme de contraintes, de souffrance et de compétitions malvenues. Par le caractère très ludique qu'elle revêt, l'escalade est parfaitement à l'opposé de toutes ces notions négatives, et cristallise la combinaison idéale entre sport et plaisir. Elle est si récréative et divertissante que l'effort se transforme alors en pur délice. Grâce à cette activité, je peux acquérir facilement une bonne forme physique, et je suis capable d'accéder rapidement à l'état de bien-être procuré par tout sport de manière générale, lié à la sécrétion d'endorphine. Je suis également fascinée par la possibilité d'accéder à un état physiologique relatif à celui de la 'survie', lors de la pratique de l'escalade en falaise. En effet, il est quelques fois possible de ressentir un flux d'adrénaline puissant, permettant de décupler la force et d'annihiler toute douleur. C'est cette sensation, très grisante, que j'aime ressentir lorsque j'enchaîne des voies difficiles.

Part tous ces aspects, l'escalade me permet avant tout de me sentir "vivante".

EA : Qu’aimes tu dans l’escalade en Alsace que tu ne retrouves pas ailleurs ?

Émilie : J'aime l'escalade en Alsace pour ses voies de caractère; en effet, elles proposent souvent des sections blocs, physiques, et ne se laissent pas dompter si facilement. L'enchaînement de ces voies exige de la technicité, de l'énergie et de la puissance; elles demandent donc globalement un bon investissement physique et mental.
De plus, le grès rose est une roche splendide, offrant des profils et des formes de prises très variés; sa porosité permet une adhérence parfaite et empêche l'apparition de la patine. Enfin, j'apprécie la beauté des forêts alsaciennes, verdoyantes et mystiques, au sein desquelles se trouvent ces falaises de grès.

EA : Quelle(s) falaise(s) fréquentes tu le plus souvent en Alsace? Celle(s) que tu préfères ? Pourquoi ?

Émilie : Les falaises que je fréquente le plus souvent en Alsace - donc celles que je préfère - sont le Kronthal, le Windstein, le Gauxberg et la Grotte du Brotsch.
J'aime le Kronthal pour la technicité de ses voies et la précision qu'elles demandent pour être réussies. Quant aux voies du Windstein, de la Grotte du Brotsch et du Gauxberg, j'aime l'énergie et la puissance qu'il faut mettre en oeuvre pour les enchaîner. Fournir ce type d'effort dans une voie n'est pas une compétence que je parviens à appliquer aisément. Pour y parvenir, il est nécessaire que je sois doublement guerrière et investie; aussi, réussir ce type de voie m'apporte une grande satisfaction.



Émilie dans le ruban blanc à Althal [Photo : David Hollinger]


EA : Et ailleurs ?

Émilie : Proche de l'Alsace, je plébiscite le Krappenfels Lutzelbourg car il propose des voies en accord avec les attributions physiques féminines : des voies verticales nécessitant résistance ou continuité, parsemées de prises arquées, avec une multitude d'intermédiaires : en un mot, mon domaine de prédilection! Pour les mêmes raisons, j'apprécie l'escalade au Althal.

Plus au Nord, j'affectionne tout particulièrement le Frankenjura. Nous nous y rendons très régulièrement. Les falaises y sont inombrables, et même s'il est réputé pour être l'antre de la force, on y trouve tout de même tous les styles et toutes les longueurs (il est possible de faire de la conti dans le Franken!). Cette variété me plaît beaucoup; j'apprécie autant de faire un long effort endurant que d'armer des mono et des bi tendus dans du dévers tout court. J'aime la forme des prises de ce calcaire si particulier. De plus, je trouve le paysage campagnard bavarois très beau, avec ses forêts verdoyantes, ses prairies fleuries et ses jolis cours d'eau. Quel plaisir de se balader de falaise en falaise dans ce décor pastoral! Enfin, les autochtones sont très accueillants et les bières locales sont des breuvages délicieux et nourrissants.

Plus loin de chez nous, j'aime aussi les falaises du sud de la France, notamment Russan, Malaucène, Céüse, Venasque, Saint Bauzille, Peillon et Castillon.

EA : Quelle est(sont) la(les) voie(s) que tu aimes en Alsace ? Pourquoi ?

Émilie : Si je commence par les voies du Kronthal, de gauche à droite: j'aime 'Androgym', 'Purification Technique', 'Les Pourritures Terrestres', 'Ataraxie pour Tobrouk', 'La Ligne de Flottaison', 'L'Ecole Buissonière', 'Exposition Universelle', 'Ultime Razzia', 'Les Marrons Glacés', 'Amazone Erogène', 'Délicate et Saine', 'Le Fil à Plomb', 'La Croisière Jaune', 'Claire de Terre', 'Les Ecuries d'Augias', 'Apocope' et 'La Fin de l'Histoire'. J'aime toutes ces voies pour la technicité et la puissance qu'elles demandent.

Au Gauxberg, j'ai adoré C'est Vert le Dièdre (quand il n'y avait pas encore de mousse !) et Flying Choucroute. Ce sont deux voies qui nécessitent une bonne pose de pied et un peu de confiance en soi pour charger ces prises !

Au Brotsch, j'aime 'La Rampe' et 'Héliotrope'; au Heidenkopf, 'Qui Sème le Vent..' est splendide. Au Windstein, quel plaisir de pouvoir grimper dans 'Juliette', 'Les Associés', 'Viol à Mains Armées', 'Le Choix des Larmes', 'Couleurs d'Automne', 'La Fissure Franz Seiler', 'Marlène de Dietrich', 'Le Coucou des Doigts' et 'Le Supplice du Pal'. J'aime ces voies également pour leur technicité et la puissance qu'elles demandent.

Pour les mêmes raisons, je vais aimer 'Grand Cru', 'Bingo', 'Objectif Lune', 'Mort Aux Cons' et 'Tchouk Tchouk Nougat' à Bergholtz ainsi qu''Associations de Malfaiteurs' à Gueberschwihr.

(ndlr: certaines des voies citées ci dessus ne font pas encore parties de ma liste de croix, mais j'espère qu'elles le seront toutes !)



Émilie dans Héliotrope, 7b [Photo : Pierre Wetta]


EA : Celle dont l'ascension t'a marqué ? Raconte nous !

Émilie : L'ascension de La Rampe m'a marquée car cette voie si populaire fut la première pour moi dans la cotation. À cette époque, je n'avais jamais mis autant d'essais pour réussir une voie, c'était la première fois que je m'investissais autant. Le jour de l'enchaînement, je me souviendrai toujours de Thomas Leleu qui était là, et qui m'avait dit: "La Rampe, ca va jusqu'en haut du rocher. Si tu enchaînes le début, ne t'arrête pas là où tout le monde s'arrête. La deuxième partie est facile, c'est 6a max, ça va bien se passer". Je me prépare donc pour mon enième essai, et miraculeusement, je passe tout le début. Arrivée au repos total, je me suis alors mis une pression extrême pour enchaîner la suite. En effet, je ne connaissais pas la deuxième partie, j'étais à vue, et je craignais de tomber pour une bêtise dans la partie en 6a. Heureusement, tout s'est bien passé et j'ai été très heureuse de réussir l'enchaînement du plus beau 6c des Vosges du Nord.

Encore une autre voie pour laquelle j'ai dû mettre une million d'essais: les bien aimées Pourritures Terrestres. Lorsque je m'étais lancée dans ce chantier, je n'avais réussi qu'un seul 7b. Il s'agissait donc là d'un projet très ambitieux, mais cette ligne m'avait toujours attirée. J'avais décidé de la gravir, coûte que coûte, pour sa beauté. Les week-ends, les 'after' au Kronthal se sont alors enchaînés les uns après les autres, mais pas la voie...Je traversais des phases de découragement, entrecoupées heureusement d'un regain de motivation. Je tombais toujours dans le crux de la dalle. Puis un jour, comme par magie, j'ai passé ce pas. Mais je savais qu'il fallait encore tout donner pour le passage du toit. Après un (très) long repos sous celui-ci, je me suis lancée, et grâce à une forte détermination et les encouragements de mon bien aimé Stan, j'ai pu enchaîner mon premier 7b+. En 2008, la voie était encore côtée 7c, j'étais donc à ce moment là doublement heureuse forcément !

EA : Quel(s) est(sont) ton(tes) projet(s) en Alsace et ailleurs ?

Émilie : En Alsace, je me suis beaucoup investie dans des voies comme Boul'Mich et Claire de Terre ou encore Le Coucou des Doigts; je souhaite de tout coeur les enchaîner bientôt !

Ailleurs qu'en Alsace, au Krappenfels Lutzelbourg, il y a Contimental et L'Arbitraire du Singe qui me plaisent beaucoup et qui me conviennent bien.

Au Frankenjura, je n'ai pas de projet particulier, mais plutôt un objectif global: réussir cette année mon premier 8+/9- ou même 9- en territoire bavarois, comme par exemple Massarbeit, 'Zugabe', 'Dala', Dumbo ou Sautanz.

EA : Peux-tu nous les décrire ?

Émilie : Boul'Mich et Le Coucou des Doigts présentent toutes deux des pas de blocs très à doigts, et j'apprécie cette belle bourrinerie digitale alsacienne ! Claire de Terre est plus longues plus homogène comparée aux deux autres, et demande de la concentration du début à la fin; j'apprécie aussi ce défi.

Quant à Contimental, je fonde de grands espoirs dans cette voie pour qu'elle devienne mon premier 8a. Son style me convient parfaitement : elle est très homogène et verticale, ultra rési, les prises ne sont pas trop mauvaises, il faut juste tenir en endurance. Il n'y a pas de pas de bloc insurmontable, contrairement à beaucoup de 8a en Alsace. L'Arbitraire du Singe présente un style similaire, mais le crux final est plutôt bloc.

Massarbeit et 'Zugabe' à Stadeltenne sont des 9- très classiques et très parcourues dans le Frankenjura. Elles sont dans le pur style local : léger dévers à trou, des bi/tri à tendre dans un bombé très énergétique, exigant, sur une quinzaine de mètres. Dumbo à Ziegenfelder Wände et Sautanz à Gössweinstein sont un peu plus longues, verticales, à trou également, plutôt techniques. Enfin, 'Dala' est plus courte et plus bloc, elle se trouve à Schlossbergwand.



Émilie dans son dernier 7c, Andogym [Photo : Pierre Wetta]
http://www.escalade-alsace.com/photos/France/Alsace/kronthal/EmyH_Androgym_7c_Kronthal1.jpg

EA : Tu t’entraines pour tes projets et pour l’escalade d'une manière générale ?

Émilie : Oui, suivre un entraînement me motive beaucoup. Je fais des exercices spécifiques sur poutre et sur Güllich ainsi que du bloc deux soirs par semaine. Cependant, jusqu'à 7b+, mon meilleur entraînement pour réussir une voie jusque dans cette cotation est d'aller le plus régulièrement possible dans cette même voie, et grimper à fond en falaise de manière générale. Au delà, à partir de 7c, c'est là que les exercices spécifiques prennent tout leur sens, en ce qui me concerne en tous cas.

EA : Des tips d’entrainement à faire partager ?

Émilie : Pas spécialement...

EA : T’imposes tu une certaine rigueur pour valider tes ascensions ? (Respectes tu les éliminantes, évites tu les préclippages, les dégaines rallongées … etc ?) Pourquoi ?

Émilie : Je me détourne complètement des voies à éliminante car cela m'ennuie; le rocher s'offre tout entier au grimpeur, par sa caractéristique naturelle, alors je trouve absurde d'ouvrir des voies avec des prises interdites. Je ne vais donc pas essayer ces voies.

Concernant le pré-clippage, cela pourra m'arriver d'y recourir si j'estime que je risque un retour au sol ou une chute avec le mou en main au début de la voie. Je ne vais pas hésiter à rallonger les dégaines pour faciliter un clippage difficile qui nécessiterait trop d'énergie. En effet, dans une voie à son niveau maximum, chaque seconde, chaque nanogramme d'énergie compte pour réussir l'enchaînement !

EA : Tu es l’une des rares femmes à fréquenter assidument et à progresser sur les falaises alsaciennes. Comment expliques tu le peu de falaisistes féminines en Alsace ?

Émilie : Je pense qu'il y a peu de falaisistes féminines en Alsace car l'escalade alsacienne nécessite globalement beaucoup de force, plus qu'ailleurs, elle sera donc forcément plus exigeante pour les filles, voire même ingrate quelques fois. Très souvent, il n'y a pas de prises intermédiaires; aussi, les filles de petite taille vont encore être plus pénalisées.

Cela est peut être la raison principale à cette faible fréquentation féminine; néanmoins, je pense qu'il y en a certainement d'autres, mais je ne saurais les identifier. En effet, si l'on prend l'exemple des falaisistes allemandes proches de nos frontières, elles n'hésitent pas à venir au Kronthal, au Krappenfels ou ailleurs. Elles sont globalement motivées et ont un bon niveau.

EA : Cela te manque-t-il de grimper avec plus de femmes ou tu te fiches du sexe de tes partenaires?

Émilie : Le fait de ne pas grimper avec plus de femmes ne me manque pas, mais j'aime autant grimper avec des femmes que des hommes. J'apprends autant des uns que des autres, dans tous les cas cela sera enrichissant.

EA : Sans généraliser, selon toi, existe-t-il des différences de comportement entre femmes et hommes dans le milieu de l'escalade ? Les conversations, les réactions sont-elles les mêmes ? Quels sont généralement les avantages et les inconvénients à grimper avec un genre ou l'autre ?

Émilie : Après longue réflexion, selon mon point de vue, et en analysant les grimpeurs et grimpeuses qui m'entourent, je note que finalement il n'y a pas tant de différence comportementales et sociologiques entre hommes et femmes. C'est comme si le milieu de l'escalade façonnait les grimpeurs selon un modèle unique, pour former une unité. Bien évidemment, chaque grimpeur a son propre caractère et sa propre personnalité. Je pense qu'il existe un mimétisme sous-jacent et inconscient entre grimpeurs. Aussi, je ne vais pas trouver plus d'avantages ou plus d'inconvénients à grimper plutôt avec un homme ou une femme. Les deux seules choses qui comptent pour moi sont l'affinité que j'aie avec cette personne et la qualité de son assurage. Par contre, en dehors de l'escalade, je pourrais énumérer des milliers de différences comportementales et sociologiques entre hommes et femmes.

EA : Trouves tu le milieu de l'escalade machiste ? Pourquoi ? As tu des exemples/expériences marquant(e)s à nous relater ?

Émilie : Non, je ne trouve pas que les grimpeurs soient machistes. Tout au contraire, je sens une égalité profonde entre hommes et femmes dans ce milieu. Globalement, en Alsace en tous cas, les grimpeurs conçoivent parfaitement qu'une grimpeuse puisse réussir une voie alors qu'un homme pourrait échouer dans celle-ci. Je trouve que les grimpeurs alsaciens sont très respecteux et courtois envers la gente féminine grimpante.

EA : Que faudrait-il pour changer les choses ?

Émilie : Eh bien rien du coup !

EA : Comment te motives tu pour avoir envie de grimper autant ? Tu te dopes avec des vidéos d'escalade ?

Émilie : Je n'ai pas besoin d'avoir recours à des sources externes de motivation, ou de stimulation, j'ai tout le temps envie de grimper, tout naturellement !





EA : Avec le froid du mois de décembre, tu as réussi à faire des sorties en falaise ? Tu as des astuces pour lutter contre le froid ?

Émilie : Oui j'ai pu sortir grimper cet hiver, tous les week ends ! Lorsque l'on est très motivé par quelque chose, rien ne peut vous arrêter pour assouvir le désir de réaliser cette chose. Dans des conditions climatiques très difficiles, il est important dans un premier lieu d'être accompagné par des personnes qui sont également très motivées et qui vont aussi accepter ces conditions hostiles. D'un point de vue plus pratique, il est souhaitable d'être un nombre pair pour éviter qu'une tierce personne d'un groupe ne se refroidisse trop. Dans tous les cas, il faut penser à son assureur et ne pas passer trop de temps dans sa voie. Avant de faire un essai dans mon projet, je cours toujours pendant quelques minutes pour relancer la circulation sanguine dans tout le corps pour que le sang atteigne les extrémités. Dès que je suis encordée et chaussée, je me tape fortement et rapidement les mains dans le dos, ce qui permet également de faire affluer le sang et ainsi la chaleur au bout des doigts. Il peut être utile de ramener une petite poutre portative, afin de faire quelques tractions de doigts ou suspensions qui réveillent bien les articulations engourdies par le froid. Il faut aussi penser à garder ses chaussons dans sa doudoune près du corps pour éviter l'onglet aux orteils. J'emmène toujours une thermos de thé. Parfois, je prépare un bouillon chaud très pimenté ou poivré, qui m'apportera un flux de chaleur. Enfin, il y a la méthode classique et très efficace du feu de bois, mais c'est interdit en forêt...

EA : Celui avec qui tu partages ta vie est également un grimpeur assidu. Cela joue-t-il dans ta motivation à sortir ? Comment ? Penses tu que la grimpe en couple soit une bonne chose ?

Émilie : Je suis toujours ravie lorsque je peux faire une sortie falaise avec mon compagnon, mais je n'ai pas besoin de lui pour me motiver; j'aurai toujours envie de grimper, même si lui ne souhaite pas partir en falaise pour une raison ou pour une autre.
Je trouve que l'escalade en couple est fantastique; il faut cependant que la grimpe soit une passion pour les deux personnes. Dans ce cas là, cela permet un vrai partage et je trouve que cela renforce énormément la confiance et la complicité. L'escalade est une activité très riche en émotions et les partager avec son compagnon ou sa compagne consolide réellement les liens.

EA : Quels sont tes points forts et tes points faibles dans la pratique ?

Émilie : Commençons par les points faibles: j'ai beaucoup de mal à tenir les plats, j'éprouve des difficultés à réaliser des mouvements d'épaule difficiles et je peine dans les gros dévers physiques et les fermetures très brachiales. De plus, je n'excelle pas dans l'escalade à vue car mon mental n'est pas assez fort pour cet exercice.
Mes points forts: je me sens bien dans les voies à résistance longue, où je vais être capable de me reposer un peu partout. Ainsi, je me sentirai aussi à l'aise dans les voies de continuité. Les murs coupés au couteau avec des petites prises à doigts est sans nul doute le meilleur terrain de jeu pour moi. Enfin, une fois que j'ai décidé de réussir une voie, je vais pouvoir rapidement me mettre en mode guerrière et à faire en sorte de ne lâcher aucune prise, coûte que coûte !

EA : Tu as subi des blessures ? De quelle(s) type(s) ? Combien de temps as-tu été obligée d'arrêter ?

Émilie : Oui, j'ai déjà été blessée; j'ai subi notamment une déchirure complète d'une des poulies du majeur droit. Un arrêt complet de 2 mois a été nécessaire pour la guérison. A la reprise, j'ai forcé trop vite et trop fort, et la poulie s'est redéchirée! Je me suis donc arrêtée 2 mois à nouveau, et j'ai été cette fois plus raisonnable à la reprise, pour être sûre de bien guérir.
L'autre blessure concerne l'annulaire gauche. J'ai subi une fracture de fatigue à l'os de l'articulation principale. Un arrêt complet de 2 mois a également été indispensable à la guérison.

EA : Tu fréquentes le forum d'escalade-alsace.com ? Pour quelles raisons ?

Émilie : Oui, je fréquente le forum car je trouve les débats intéressants, et cela me permet de me tenir informée de l'actualité de l'escalade en Alsace. Je me contente souvent de lire, je n'interviens que très rarement, par pudeur certainement.

EA : Tu y aimes les sujets discutés ? Pourquoi ?

Émilie : Il y a quelques sujets qui m'intéressent, forcément plutôt ceux qui peuvent me concerner. Ceux qui m'intéressent particulièrement sont les sujets à polémique, pour lesquels les intervenants sont nombreux. J'aime lire les commentaires des personnes qui assument parfaitement leurs idées lors de discussions houleuses. Quelques fois, je trouve aussi qu'il y a des sujets inintéressants qui n'ont pas leur place dans le forum.

EA : Fréquentes tu les salles d'escalade alsaciennes ? Lesquelles ? Qu'est ce que tu y aimes ?

Émilie : Oui je fréquente les salles alsaciennes. Celle que je préfère est Roc Extrême, car c'est dans cette salle que j'ai découvert la résine et sa fréquentation régulière m'a fait énormément progresser au début (et aujourd'hui encore d'ailleurs). De plus, j'aime son côté convivial, et la possibilité de créer ses propres blocs. Les possibilités d'ouverture sont infinies ! J'apprécie aussi le fait qu'elle ne soit pas surfréquentée, cela laisse plus de liberté dans la salle. De plus, il n'y fait pas trop chaud, chacun peut adapter la température à sa guise. Et citons encore le prix de la licence, qui est imbattable !
J'aime aussi les salles de bloc privées, en l'occurence Hueco et Block' Out. J'apprécie effectivement créer mes propres blocs, mais il est également agréable de ne pas avoir à réfléchir et d'essayer les blocs définis. L'avantage est de pouvoir s'essayer à différents styles d'ouvertures, vu que plusieurs ouvreurs sont à l'oeuvre. Et c'est un plaisir de pouvoir boire une bonne bière après l'effort ! Enfin, de façon générale, j'aime utiliser les outils d'entraînement mis à disposition dans toutes ces salles comme les poutres et le pan Güllich.

EA : Un rêve d'escalade que tu voudrais réaliser ? (Une ascension, une cotation, un voyage… ? ) Et un rêve tout court ?

Émilie : Je rêve d'aller à Red River Gorge; ce lieu me fait rêver, d'autant plus que l'on y grimpe sur du grès !
Plus surréalistiquement, comme beaucoup de grimpeurs motivés, je rêverais de pouvoir muter, m'échauffer dans le 8a et enchaîner les 8c et 8c+ à la pelle !


Merci beaucoup pour ta gentillesse Emilie. Nous te souhaitons de continuer à grimper, à progresser, à voyager et à vivre tout simplement.




Émilie dans Andogym, 7c [Photo : Pierre Wetta]






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