-" On dirait que tout ce que tu fais, c’est
critiquer!" me lança Gère-Mène en éparpillant mes dernières chroniques sur la
table du salon.
Je me demande bien où j’ai pris goût à la
critique : mon père était le chialeux officiel de la paroisse, tellement
qu’il était capable de critiquer et le pour et le contre d’une affaire selon
ses interlocuteurs. Il se lamentait du soleil et du beau temps selon qu’il
prenait en pitié les agriculteurs ou les vacanciers. Rien n’échappait à sa
langue bien aiguisée : il eut été plus facile à un chameau de passer par
le chas d’une aiguille qu’ai même chameau de passer devant mon père sans qu’il
ne critique soit sa démarche soit l’état de ses bosses. Quoique ici, les
chameaux! Il y avait bien les « chars » qui le turlupinaient, hors
l’histoire lui a donné raison… GM et Chrysler méritaient une faillite!
Bon sang ne saurait mentir!
Mais cette semaine, je vais faire court, simple
et positif.
Vous connaissez tous Diogène de Sinope. Le gars
qui vivait dans une grosse cruche et qui répondit à Alexandre le Grand de se
tasser de devant son soleil, Alexandre lui faisant de l’ombre. Preuve du sens
de l’humour d’Alexandre ce jour là car il en a expédié au pal pour beaucoup
moins!
Vous savez aussi que Diogène se promenait avec
une lampe allumée en plein jour en affirmant qu’il cherchait un homme. Il ne
pouvait trouver l’humain idéal de Platon et ne rencontrait que des hommes
normaux… rien de bien surprenant.
Moi j’ai toujours cru que le milieu de
l’escalade et de la montagne avait besoin de modèles. Nous n’avons pas
d’histoire, pas de passé, pas de mythes fondateurs, pas de littérature, pas de
révélations.
Ce qui n’est pas le cas, bien entendu, pour moi
et quelques autres : nous savons d’où nous venons et ce qui nous a fait.
Nous savons les noms et les dates. Nous avons lu les livres et les articles.
Nous avons parlé aux précurseurs.
Mais pour la majorité au pied des falaises et
dans les salles, mon jugement est valable et difficilement contestable.
Je revenais d’aller équiper deux voies dimanche
dernier. J’ouvre l’ordinateur et je vois le visage de Patrick Edlinger avec un
lien vers le site du festival de Trento.
Un clic plus tard et voilà Patrick Edlinger en
entrevue vidéo.
Mais c’est qu’il est conséquent, le bougre!
J’ai bien ri quand il dit que la distance entre les points ne provenait pas
d’un quelconque engagement mais bien du fait qu’ils n’avaient pas, à cette
époque, l’argent pour en mettre plus.
Avoir eu les liquidités, lui et ses amis en
auraient placé beaucoup plus, des points!
Ce n’est pas la première fois que j’entends
cette explication venant de la bouche de nos chers précurseurs. C’est un secret de polichinelle…
l’engagement … il a sa cause dans la pauvreté dû à une passion qui excluait le
fait de travailler pour vivre.
C’est terriblement ironique et je dois le
remercier de nous remémorer les faits.
J’écoute Edliger et il a des échos de ’’La vie
au bout des doigts’’.
’’Avoir des émotions’’
’’Vivre vieux et bien’’
’’Vingt ans dans la tête’’
’’Bien-être total’’
’’Oublier les soucis, les problèmes’’
’’Vivre ici et maintenant’’
Et cet éloge de l’amitié avec Berhault :
on croirait entendre Montaigne et La Boétie!
Patrick Edlinger… l’homme dont l’escalade a
besoin?
Il a le ton.
A-t-il la chanson?
Je ne le connais pas et certaines personnes de
mon entourage me disent qu’il faut se méfier. Mais qui n’a pas de défauts? Quel
individu possède un parcours exemplaire, sans taches? Celui qui n’a pas
d’ennemis n’a jamais rien accompli…
Patrick Edlinger… la figure de proue de
l’escalade moderne en France?
Comment pourrait-il?
Il ne fait pas de compétition! Il n’a plus de
magazine! Il n’a que peu de visibilité!
A l’écouter, on pourrait le croire assez
rassembleur pour remettre le sport sur les rails, L’aura est toujours là,
l’image de marque, la philosophie d’un retour à une certaine simplicité.
Si Diogène, falaisiste, cherchait un grimpeur
véhiculant l’idéal du sport, choisirait-il Patrick Edlinger?
Je pourrais nommer quelques dizaines de
personnes au cœur pur pouvant jouer ce rôle mais aucun ne peut le jouer
immédiatement devant la foule et les médias et posséder l’image qu’ils se font
d’un gourou.
Or dans notre monde soit disant laïc, la
multitude a besoin d’un gourou comme autrefois elle avait besoin d’un ermite et
d’un saint. Nous avons des gourous de la santé, de l’économie, de l’écologie,
de la cuisine minceur et de l’œnologie. Des gourous du foot et du hockey. Des
gourous de l’hédonisme, des gourous de l’égyptologie.
Patrick Edlinger comme gourou de l’escalade
’’made in France’’?
On peut faire bien pire.
Laisser aller les choses comme elles vont, par
exemple…
Jésus! Gère-Mène va encore dire que je critique
tout le temps. Allons souper!
» Le lien de l’entrevue avec Patrick
Edlinger