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Chronique québécoise par JP Banville, C’EST PAS LA JOIE [escalade-alsace.com]

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Yann Corby
C’EST PAS LA JOIE


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Chronique québécoise par Jean-Pierre Banville



Le son aigrelet de la flûte monte du salon, provoquant chez moi grincement de dents et montée de boutons.
Quel instrument détestable!
Le Bizarre s’évertue à massacrer ’’L’Hymne à la Joie’’ en tentant toutes les combinaisons de notes possibles et imaginables. Certaines combinaisons sont même inimaginables!
Sa nouvelle école oblige l’étude de la flûte à bec. Ils doivent pouvoir jouer décemment quelques morceaux… heureusement que son espérance de vie est assez longue : il a du temps devant lui!
Comme si, pour apprécier la musique, on devait pouvoir en jouer. Drôle de raisonnement. Je n’ai jamais appris la maçonnerie donc je ne peux apprécier l’architecture des cathédrales. Je ne sais rien de la manipulation d’une caméra ce qui doit donc m’empêcher de juger de la qualité d’un film.
Naturellement, je n’ai jamais appris à être professeur… ce qui m’empêche assurément de pouvoir juger de la logique de l’apprentissage de la flûte alors que l’histoire et la géographie sont absentes du curriculum!
Vade retro!

Mais il n’y a pas que la flûte qui me cause de violentes céphalées.

Je suis arrivé à Ferney Voltaire sans corde. Question de poids.
Pas le mien… celui de mon sac.
En me disant que je m’en procurerais bien une sur place : il y a des magasins qui ne demandent qu’à vendre. Après quelques recherches du coté de la France, il m’a paru évident que la Suisse pouvait offrir un meilleur choix. Pourquoi évident? Pourquoi la flûte obligatoire?
On n’est pas toujours aussi conséquent qu’on voudrait bien l’être.

Donc, un bon matin, sous un agréable crachin, je prends le train pour Genève. Six minutes plus tard – inutile de tenter de stationner dans cette ville, le train offre la meilleure alternative – je débarque à Cornavin et je me dirige vers le magasin de sport que j’avais ciblé.
A pied, sous la pluie, à l’aide d’une carte qui ressemblait plus à un torchon qu’à autre chose cinq minutes plus tard.
La boutique porte le nom d’une pièce de vêtement. Je n’en dis pas plus.

Donc, après vingt minutes sous la douche genevoise, je trouve la dite boutique.
J’entre et je suis du coup émerveillé devant les étals couverts de matériel d’escalade.
Je me dirige vers la section des cordes. Quelques fabricants sont en vedette et il y a de la couleur, mon faible.
Je me penche pour regarder le prix d’une 10.2 mm.
Le linge me sèche sur le dos d’un coup!
Je regarde l’étiquette de la corde à sa droite : je perds l’œil droit qui tombe sur le plancher de bois!
Je manipule toutes les autres étiquettes avec frénésie. Non, je ne suis pas fou et mon calcul du taux de change est exact.

Un employé s’approche de moi en évitant les flaques monstrueuses que j’ai créées et demande s’il peut m’aider.
-’’ Les prix des cordes… c’est pour vrai?’’
-’’ Bien entendu! Ce sont les meilleures…’’
-’’ Mais c’est uniquement du haut de gamme assez cher! Vous ne gardez pas de cordes à prix régulier? Tu sais que toutes les cordes sont normées de toute façon…’’
-’’ Ce sont les marques que vous voyez qui nous sont demandées… ceux qui ne peuvent se les permettent n’ont qu’à aller au supermarché du sport à Annemasse…’’

J’ai regardé autour de moi et je suis sorti, reprenant ma marche sous la pluie vers Cornavin et le train.
Je n’ai rien contre un certain élitisme. Je ne suis ni populiste, ni ne croit à l’égalité fondamentale des chances. On naît avec un potentiel et dans environnement socio-culturel qu’il est impossible de modifier de nous même. Je ne serai jamais Sharma et je ne serai jamais riche.

Par contre, je crois que l’escalade et la montagne devraient être des catalyseurs qui permettent de dépasser nos attaches terrestres. La montagne comme rédemption ou le nivellement des classes au pied de la falaise.
Je dois être un grand rêveur…
Laisser à Cartier ou à Rolex les signes de richesse extérieure et donner à tous la chance de pratiquer la montagne.
Ce qui ne veut pas dire qu’on doit payer un prix minime pour le matériel. Ce qui ne veut pas dire que j’exige un nivellement par le bas, que je veux tout le monde en harnais Whillans (ouf…) et corde de chanvre.
Non! Je désire le choix, la variété dans l’offre et dans les prix.

Je ne veux pas me faire dire qu’ici, c’est une boutique pour les riches et que les pauvres n’ont qu’à aller au supermarché.
Pas en escalade! Pas en montagne!
Du choix, pour tous, et la marge soit sur la masse des ventes soit sur le haut de gamme griffé. Mais dans la même boutique…

Le dialogue, dans la boutique, m’a fait ’’griché’’ des dents tout autant que les performances musicales de mon fils.
Je connais des jeunes grimpeurs qui vivent au jour le jour, ménageant chaque sous pour aller, les fins de semaine, grimper à l’extérieur de la ville. Sont-ils moins recommandables qu’un professionnel qui peut se payer des vêtements’’griffé’’, des cordes haut du pavé et des piolets de cascade qui valent autant, par paire, que le prix d’un loyer mensuel ($600)?
La montagne doit-elle se décliner comme le sport d’une élite ou tenter de rejoindre toutes les strates de la société?
Le vieux fou que je suis croit encore aux vertus rédemptrices de notre petit monde. Il croit encore que des jeunes, au contact du caillou, peuvent améliorer leur sort individuel. Éclaircir leurs horizons. Intégrer un genre de communauté d’intérêts. Se donner des buts valables.

Et on n’y arrivera pas en recréant le modèle ’’Cartier’’ dans les boutiques. Il n’y a pas de vertu rédemptrice dans le modèle ’’Cartier’’… sinon pour les banquiers!
Si on attendait après certaines marques ’’écologiques’’, déjà nommées précédemment dans ma chronique de la semaine dernière, pour habiller les grimpeurs, une majorité d’entre nous escaladerait nu comme au jour de notre naissance par manque de moyens.

Belle perspective!

Du choix, que diable… de tout, pour tous, partout.
Et un peu moins pincé quand on voit un client mouillé! Je m’imagine le Rouzo se faisant servir les mêmes réponses.

Voilà où mène le trop-plein de sérieux. Ça va tuer notre sport, le sérieux, allié à la calculette.

Gère-Mène entre à l’instant dans notre humble demeure. Elle revient de quelques courses et elle brandit, devinez quoi???
Une flûte à bec et un manuel pour débutant.
Elle se lance dans la cacophonie!
Je comprends maintenant pourquoi Beethoven était sourd. Le pauvre homme: son entourage devait jouer de la flûte.

Il ne me reste plus qu’à retourner vers Ferney Voltaire et le silence du Pays de Gex…..




JPB






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