Aujourd’hui, j’amène mon fils au travail avec moi.
Ne me demandez pas pourquoi : vous le saurez bien assez tôt.
Donc je l’amène au bureau… en fait, j’avais un rendez-vous à l’aéroport
local tôt le matin où je devais entrer dans la zone sécurisée et visiter
certaines installations où on accède que grâce à des clés biométriques. Vous
savez… les empreintes digitales et la rétine…
Donc mon fils ne peut venir avec moi!
Je lui demande de s’asseoir juste à coté du bureau de la GRC (la Police Montée, les gars
avec le bel uniforme rouge qui attrapent toujours leur homme, la
Gendarmerie Royale du
Canada) et tout en face des guichets d’Air Canada où d’aguichantes hôtesses ont
tout le temps de surveiller le vol des mouches et le pollen dans les rayons de
soleil.
Peu d’endroits plus sécuritaires dans mon patelin.
Il ne doit pas bouger durant quinze minutes : il a un livre et tout
est sous contrôle.
Je reviens quinze minutes plus tard et il est encore là, bien assis sur
sa chaise.
Au souper, il me dit, d’un ton badin :
-’’ Tu sais, je suis allé au toilettes et j’ai fait le tour du terminal
pendant que tu n’étais pas là…’’
Suis-je surpris?
Non… je connais mon fils. Il fera tout le contraire de ce que j’ai
demandé. Même s’il n’a aucune idée des dangers qui guettent un enfant de huit
ans laissé seul dans un endroit public.
Mon fils est un rebelle. Il aime à se donner des illusions de maturité et
de liberté. Il repousse ses limites sans se rendre bien compte que déjà elles
sont souvent bien au-delà de ce qu’un parent ’’normal’’ tolérerait. Mea culpa!
Je lisais cette semaine les Lettres de l’OPMA.
Les dernières, celles sur la mort en alpinisme.
Pour être franc avec vous, je veux faire parti du panel de discussion.
Très intéressant même si un peu éthéré.
Mais surtout je me disais que jamais, en escalade, on aurait une telle
discussion car jamais on affronte la mort.
La mort est évacuée de notre pratique.
Ce qui, pour ma part, est une bonne chose considérant que la mort me
poursuit depuis des années. Je suis mort à cinq ans et elle rode toujours
autour de moi depuis ce temps. Je suis mort un huit décembre, il y a quarante
sept ans.
Donc, en escalade, la mort n’entre plus en ligne de compte.
Ce qui signifie que l’escalade n’est pas un sport extrême.
Il y a des accidents, c’est certain. Comme il y a des accidents mortels
dans les rues de votre municipalité. Ça ne signifie pas que les conducteurs
impliqués étaient des conducteurs de Formule Un risquant leur vie à 250kms à
l’heure.
Un accident en escalade demeure un accident. Un faute banale résultant
par un décès totalement hors norme.
Dans mon livre à moi, vieux débris rongé d’histoire ancienne, le seul
sport extrême ayant jamais existé demeure le combat de gladiateurs. Un gagnant
et la mort pour l’autre participant. Des intéressés parmi mes lecteurs ?
Suivi de près par les joutes du Moyen Age. Les combats à pied : le
dernier debout est le gagnant… les autres sont morts ou estropiés, raccourcis,
amputés, achevés.
Il y a aussi la merveilleuse tradition japonaise de l’apprentissage par
l’exemple (voir ’’Le sabre et la pierre’’) qui amenait des jeunes à se frapper
à coups de bâton sans concession. Un gagnant et, au mieux, la clinique pour le
survivant.
Il y a bien la chasse aux animaux sauvages qui était un sport extrême à
un moment donné. Hélas, l’avènement des armes à feu a tué le plaisir.
Vous voyez donc la différence entre un ’’vrai’’ sport extrême et une
version ’’light’’ : dans le ’’vrai’’, vos chances de survie sont de 50% ou
moins. 75% des chances que le survivant soit blessé assez gravement.
L’Everest, c’est 1 sur 10 qui meurt !
On est déjà loin du combat de gladiateurs.
Je serais curieux de connaître les statistiques pour les courses
automobiles. Ce doit être très sécuritaire, meilleur de beaucoup que le 1 sur
10.
L’escalade dans tout cela?
Laissez-moi rire!
C’est tellement pépère qu’on peine à retenir une clientèle qui cherche
quelques frissons éphémères. Ils vont vite vers le kayak ou le ski hors-piste. Même
le ski de fond parait plus entraînant que la lente ascension d’une falaise où
la chute équivaut à peine au thrill des manèges de foire. Une petite randonnée
en bicycle dans un quelconque centre-ville d’une cité américaine apporte plus
d’adrénaline que Chilam Balam à vue.
Je crois avoir prouvé mon point de vue. Personne ne peut contester les
faits.
Mais j’en entend, là, dans le fond de la salle, qui murmurent le mot
’’solo’’.
Patrick et Alain et Dean… attention : le solo n’est pas une pratique
courante. Ce n’est pas une pratique de marge non plus. C’est un acte
individuel, le fait d’une microscopique portion de l’humanité qui affronte ses
démons. Rien à voir avec un sport. Marcher sur les lignes blanches de
l’autoroute durant l’heure de pointe, est-ce de la randonnée?
Or tout notre environnement social, tout le marketing, toutes les
publicités, tous les groupes organisés misent sur une image de l’escalade,
image cent fois reprises et exploitée.
Nous sommes asociaux. Nous sommes différents. Nous sommes
anti-conformistes.
Parce que nous voyons la mort de près (…), nous hurlons avec les loups.
Nous ne vivons qu’à la brunante, nous sommes durs, aguerris. Nous ne craignons
rien. Nos dérives nous appartiennent et les règles de la société ne
s’appliquent pas à notre groupe.
Serions-nous d’essence divine? On pourrait le croire.
Pourquoi personne n’ose crever la bulle? Expliquer à tous que
l’asocialité et l’anti-conformisme ne sont que des illusions créées de toutes
pièces.
Rien de plus conformiste qu’un groupe de grimpeurs au pied d’une falaise.
Rien de plus social que les grimpeurs de SAE.
Portant tous les mêmes vêtements griffés, ayant tous un équipement
identique (pressions sociales obligent), visitant tous les mêmes falaises à la
mode, sortant peu de leurs petites salles, visionnant tous les mêmes vidéos,
débitant tous les mêmes lieux communs.
Étrange communauté qui se veut différente pour les mauvaises raisons. Et
qui, en se peignant ainsi dans un coin, s’enlève toute crédibilité quand vient
le temps de négocier les accès, l’équipement, les budgets.
Encore plus étrange, c’est que les ’’décideurs’’ ne se décident pas à
modifier l’image du sport.
Oui, il y a des marginaux en escalade. J’en suis un et je peux le
prouver.
Mais la majorité des pratiquants ne le sont pas et ne le seront jamais.
Ils sont souvent attirés vers notre sport grâce à cette image idéalisée et
repartent vite, la queue entre les jambes, vers d’autres sports plus
dramatiques.
Je veux l’escalade comme sport passion, comme sport plaisir. Comme
dépassement athlétique. Comme lieu de rencontre. Je ne veux pas d’Olympiques,
ni de comités, ni de drapeaux. Je ne veux pas de dopage ni de juges pourris. Je
ne veux pas d’un sport qui renouvelle 50% de sa clientèle à tous les deux ans.
Je ne veux pas de contes à dormir debout sur les dangers de notre pratique, sur
notre marginalité, sur notre statut hors norme.
J’aimerais voir le milieu de la grimpe attirer la jeunesse non pour lui
dire qu’en grimpant elle va se démarquer… mais bien pour lui dire qu’en
grimpant, elle risque fort d’avoir du plaisir.
Et que le plaisir risque de durer une vie.
Mon rejeton de huit ans, lors de sa visite à l’aéroport, a pris beaucoup
plus de risques que la majorité des grimpeurs en une vie de pratique. C’est à
se demander ce qu’il va faire plus tard. Sans doute que le monde de la grimpe
lui paraîtra bien fade, lui qui – comme Obélix - est tombé dedans à sa
naissance.
Le parapente? Le base-jump? Le ski? La luge sur route? La lecture de
romans policiers?
Il va me surprendre, je n’en doute pas.
Autre chose…
Le concours Erotico-Littéraire. J’avais mentionné la veille de Noël comme
date de tombée. Considérant le fait que le nombre de textes reçus se rapproche
du zéro absolu, je propose une nouvelle date : le 31 janvier 2008 !
Si nous avons reçu au moins cinq textes à cette date, le concours sera
lancé. Sinon, il faudra me rendre à
l’évidence : ça n’intéresse personne, le sexe!
Je pensais aussi lancer un prix annuel : le Rouzo.
Le Rouzo mettrai en valeur la pire performance en falaise ou en bloc. La pire performance au niveau social,
bien entendu… je ne veux pas entendre parler de mousses et de lichens et encore moins de réchauffement climatique. Il fait -23 avec le vent dehors…
C’est une idée qui me trotte dans la tête et je vous reviendrai si j’arrive à l’arrimer avec une quelconque réalité.
JPB