1.Introduction
Rapprocher l’art au sport n’est pas une démarche
innovante en soi, mais elle n’en est pas moins
légitime. De nombreux arguments font apparaître la
pertinence d’une telle union. Union qui semble se
justifier de façon encore plus éclatante lorsqu’il
s’agit de comparer l’escalade et la danse.
Il s’agira
ici de déceler leurs spécificités et de constater la
convenance d’un tel rapport, mais également l’usage
conséquent qu’il peut exercer sur d’autres formes
spectaculaires. Autrement dit, l’intérêt sera porté
sur le potentiel qu’à l’escalade de s’exporter vers
d’autres spectacles.
J’ai choisi de sauter une partie qui aurait pu
pourtant apparaître nécessaire, celle sur le sport en
général, ses origines et sa fonction sociale. Cela
aurait certes pu nous éclaircir, mais s’attaquer à ces
questions me semble trop vaste, et ne ressort pas de
ma compétence.
Le devoir qui va suivre n’a nullement l’ambition
d’être une somme, encore moins une synthèse des
connaissances à ce sujet, mais uniquement un simple
point de vue sur une question que n’importe quel
grimpeur et danseur peuvent se poser.
2. Le sportif et le danseur, liens et divergences
Postuler qu’un danseur soit sportif est a priori
mieux accepté que de dire qu’un sportif est un
danseur. Voyons pourquoi. Le danseur, cet athlète
créateur (ou reproducteur ?) de mouvements, possède un
corps qu’il doit maîtriser en toutes circonstances.
Souplesse, puissance et endurance sont des
dénominateurs communs aux corps du sportif et du
danseur. Dans les deux cas, la formation physique
requiert un entraînement assidu, voire ascétique. Un
spectacle de danse constitue un effort très souvent
dur, proche en intensité d’une performance
gymnastique.
La performance ne serait néanmoins pas une finalité
en danse où prévaudrait la recherche gestuelle.
Quoiqu’un spectacle tel Hip-Hop Opéra, de la compagnie
Accrorap, est, je pense, largement basé sur l’exploit
physique et sur le culte du corps performatif.
Étonnement, comme en danse classique où il s’agit de
reproduire le plus précisément des figures du
répertoire, les danses Rap appartiennent à cette même
logique, celle d’une fidélité à des mouvements
désormais codifiés. On se concentre d’avantage sur
l’exactitude plutôt que sur l’innovation, moins sur la
pensée que sur le physique. Ceci étant une
constatation nullement péjorative. Cela dit, plus
globalement, le danseur semble plus désintéressé dans
sa pratique, et s’il vise une performance, elle sera
fondamentalement plus créatrice que sportive.
La logique de rentabilité, elle, anime l’esprit
sportif. Ainsi, quoiqu’il admette une libre expression
du corps, le sport exulte plus dans la consummation de
ses énergies et dans un travail technique rigoureux
visant l’économie des efforts dans la production d’une
performance. Certes, le danseur souhaite également
faire au mieux, mais cette aspiration à l’exploit
n’est, elle, pas mesurable. Le chronomètre, outil
essentiel dans de nombreuses disciplines sportives, ne
serait guère efficace dans l’appréciation d’un
spectacle de danse. Le sport, de par sa large
diffusion médiatique et son obstination du record, se
soumet à l’impératif du temps et de la durée, là où la
danse tend à s’en écarter. Reconnaissons enfin que de
nombreux sports, loin de toutes velléités expressives,
se réduisent au seul développement musculaire,
forcément répétitif, en vue de grappiller quelques
secondes. Mais on pourrait tout autant imaginer des
danseurs esclaves (les danseurs étoiles ?), simples
exécutants mécaniques des ordres d’un chorégraphe
tyrannique.
Quant à la dimension de la réflexion introvertie sur
son corps, je pense qu ‘elle anime de nombreux
sportifs de précision (tir à l’arc, saut en hauteur,
…). D’ailleurs, en escalade, les pulsations
contractives du muscle, ainsi que la répartition du
poids du corps et de l’occupation de celui-ci dans
l’espace, sont des perceptions aussi présentes que
nécessaires.
L’efficience de ces activités de discernement amène
cet usage raisonné du corps à s’inscrire au sein même
de la formation plus globale de l’homme. " Éduquer le
corps dans l’âme ", tel était le projet de Montaigne
(et celui de Rousseau dans l’Emile), persuadé que "
les jeux physiques seront une bonne partie de l’étude
". Cet adage est largement appliqué puisque l’école
dispense de cours " d’éducation physique " (la danse y
étant d’ailleurs assimilée à un sport). Ces pratiques
somatiques sont appréciées par les institutions comme
un réel élément de formation morale du caractère,
voire comme une promesse d’accession à un équilibre
interne harmonieux. Bien plus qu’un simple culte
volontaire et habituel de l’effort intensif, le sport
serait également " le seul moyen de conserver dans
l’homme les qualités de l’être primitif ; il consiste
à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus
fortes de l’âme : l’énergie, l’audace et la patience "
(Jean Giraudoux). On voit ici que, parmi les quatre
propriétés principales autour desquelles se construit
l’image du sportif (la force et les réflexes, la grâce
et l’énergie), les deux dernières sont assez
directement proche de la danse.
Enfin, pour clore cette première partie, j’aimerai
évoquer une interaction assez notable entre danse et
sport. Si celui-ci est par essence un spectacle, il
tend à devenir un spectacle à part entière, une
véritable stratégie stylisée et intelligente (Paul
Veyne dira même qu’un match est " un système
sémiotique "), et parallèlement, il influence la danse
qui inclue de plus en plus de sport dans ses
spectacles. Comme si le sport, ayant acquis une
importance publique et médiatique considérable au
vingtième siècle, devenait un paradigme pour de
nombreuses pratiques, y compris artistiques. Ainsi, on
a vu de l’art sous l’appellation de " performance "
(happenings). Ou encore, des spectacles de danse
(toujours l’exemple d’Accrorap), acculés d’un préjugé
d’hermétisme, pensent s’ouvrir et se démocratiser
grâce à l’usage du sport. Selon moi, on trouve une
dérive, aussi symptomatique que paroxystique, dans le
patinage sur glace, qui est une danse que l’on a
codifiée de façon sportive et compétitive (comme le
démontre " la note artistique " délivrée par les juges
qui s’attribuent ainsi le pouvoir d’évaluer
arbitrairement une esthétique).
3. L’escalade, plus art que sport ?
L’escalade entretient un rapport des plus nuancés
avec le sport et la danse, comme s’il se situait
exactement à mi-chemin entre les deux. Tachons
d’analyser ces relations et leurs ambiguïtés.
" Action de gravir en s’élevant ", telle est la
définition de l’escalade dans Le Petit Larousse, une
définition qui m’apparaît assez réductrice, voire
obsolète. Ainsi, l’escalade n’est plus qu’une simple
ascension de montagne ou la poursuite de l’extase du
sommet ; la dimension du gravir tend même à y
péricliter inéluctablement. C’est ce qu’indique Alain
Loret dans Génération Glisse (p.160) : " depuis 1953,
l’escalade ne s’inscrit plus dans la formule olympique
de toujours plus haut. […] Atteindre le sommet de
l’Everest a véritablement " décapité " l’escalade en
lui imposant un nouveau concept, […] celui de grimper
toujours plus bas ". La pratique de la traversée
(itinéraire latéral, et non plus vertical, du
grimpeur) est à ce titre exemplaire et prouve que la
finalité ou le plaisir réside dans l’acte même de
grimper, et non plus dans l’atteinte du sommet. Car
l’acte de grimper est inhérent à une gestuelle riche
et variée, celle-là même dictée par le rocher. Ainsi
le grimpeur libre " à la Edlinger " (issu du courant
esthétisant et de la contre-culture) décryptera les
prises que lui offre le support minéral, et, au
besoin, en sélectionnera pour trouver des mouvements
originaux. D’ailleurs, les aptitudes physiologiques du
bon grimpeur sont proches de celles du danseur et
acrobate (souplesse, finesse et grâce dans la mobilité
du corps, musculature dans les bras et le haut du
corps en général) et il usera au profit d’une certaine
recherche esthétique dans sa gestuelle, plus que dans
la simple réussite d’un passage. Mais si les
mouvements sont générés par le rocher, la chorégraphie
serait donc minérale et ne céderait que peu à "
l’intentio autoris ". Loin d’être un démiurge, le
grimpeur ne ferait qu’exécuter une gestuelle dictée
par hasard naturel. Sans entrer dans le débat
platonicien et des romantiques sur la supériorité, ou
non, de la Nature sur l’Art, il est indéniable que
notre escalade ( " l’opéra vertical ", selon les mots
de Patrick Edlinger) comporte un haut degré
d’aléatoire puisqu’elle s’en remet à la fortune
géologique, elle, largement déterminée.
Cela dit art et hasard font de plus en plus bon
ménage au vingtième siècle. La musique expérimentale
(John Cage), la peinture et l’écriture automatiques
(les " cadavres exquis " des surréalistes) et bien sûr
toute la danse contemporaine qui s’écarte depuis plus
d’un siècle des académismes du répertoire classique.
Ainsi Isadora Duncan et Ruth Saint Denis, pionnières
de la danse moderne, refusent ce carcan de
l’apprentissage précoce au profit d’une expression
plus intérieure, par le biais de la formation de
l’esprit. Mais c’est surtout les Events de Merce
Cunningham qui retiendront notre attention à cause de
la part belle qu’ils laissent au hasard, comme si la
grimpe moderne s’était inspirée de ses méthodes. "
Quant je compose une chorégraphie en jouant à pile ou
face (c’est-à-dire en me fondant sur le hasard), je
tire mes ressources de ce jeu qui n’est pas le produit
de ma volonté mais qui est une énergie et une loi
auxquelles moi-même j’obéis " (L’art permanent, 1964).
D’autres théories de la danse contemporaine peuvent se
rapprocher de l’escalade, comme celles de Martha
Graham et son insistance sur une dialectique
contraction-décontraction du volume musculaire
(tension, release), également présente dans un effort
de grimpe (en continuité comme en bloc).
Puis, si le rocher implique une occurrence gestuelle
aléatoire, il participe également à un rapport
sensible, voire sensuel, avec le corps. Ainsi, le
contact charnel, quasi symbiotique, établi avec le
corps minéral peut se comparer à la relation qu
‘entretient le danseur avec le sol, élément essentiel
s’il en est. On peut également retrouver le corps à
corps en escalade (très commun en danse), par le biais
cet attouchement assez maternel qu’est la parade. Dans
la pratique du bloc ou de la traversée (sans corde),
la chute potentielle est retenue et amoindrie par une
personne, restant au sol, qui suit au plus près de ses
mains le déplacement du grimpeur.
Enfin, pour achever
ce paragraphe sur les rapports des corps, on trouve,
plus implicitement, un échange d’une certaine force
entre le grimpeur et l’assureur qui maintient la corde
au bas de la paroi. Une communication symbolique de
confiance s’établit est ainsi amenée par cet outil
garant de vie qu’est la corde, une représentation
métaphorique mais évidente du cordon ombilical. La
corde rattache le grimpeur au sol comme le cordon
ombilical fait vivre l’embryon puis le fœtus : des
liens protecteurs, de sauvegarde, de survie. On voit
ici que l’escalade pose une correspondance assez
freudienne avec la naissance et la mère, et cela dans
un rapport de dépendance et d’ontogenèse, comme
pourraient l’être, historiquement, les danses
primitives dites du " corps tremblant ". Ainsi, les
danses choréiques qui reproduisaient les hésitations
qu’avait l’enfant lors de l’apprentissage des
mécanismes fondamentaux (la marche, la peur du monde,
…). L’acte gravitant peut enfin être perçu comme une
redécouverte du péché originel. Lorsque le serpent
escalada l’arbre pour offrir la pomme qui fit chasser
Eve du paradis. D’un point de vue biblique, l’escalade
représenterait-elle une manifestation transgressive
fondamentale ?
En plus d’être symbolique, la présence de la
transgression en escalade est aussi effective et
conséquente. Ainsi, sociologiquement, le milieu des
grimpeurs est assez ouvertement contestataire et très
emprunt de l’idéologie soixante-huitarde et de la
contre-culture issue de la B-Generation (cf. les
articles sur le film d’escalade et le solo). Nombre de
grimpeurs du début des années 70/80, loin du sportif
aseptisé et sponsorisé, voyageaient marginalement de
falaises en falaises, animé par un idéal picaresque de
nomadisme (a posteriori assez caricatural tant cela
fut poussé), et se nourrissait d’eau et de fruit tout
en lisant Kerouac. En toute logique, le grimpeur se
situait politiquement à gauche, proclamait quelques
fois un discours écologiste assez extrémiste (dans
l’Elbsandstein allemand, on grimpait pieds nus et sans
magnésie pour ne pas salir le rocher) refusant la
débauche consommatrice qui l’entourait. Cela pour dire
que l’escalade libre moderne naquit dans une
thématique protestataire recyclant des thèses
anarchistes, écologistes et leurs pratiques (refus de
la sédentarisation, usage de drogues, engagement
politique, …) ; thèses habituellement propres aux
champs artistiques contemporains (lettrisme, land art,
B-Generation, cinéma underground américain des 50/60,
…). De nombreux mouvements artistiques servirent donc
de paradigme pour une escalade qui s’efforçait de
devenir expressive, comme déterminée à transmettre à
tout prix une idéologie.
Ces intentions, aussi expressives que significatives,
furent vite servies (ou desservies ?) par un outil qui
révolutionna le monde de l’escalade : la SAE
(Structure Artificielle d’Escalade). Car si la SAE
éloigna assurément les grimpeurs du rocher, de
l’environnement minéral, des préoccupations
écologistes et des rapports avec le naturel, elle les
rapprocha d’une relative autonomie créatrice. Ainsi,
la gestuelle de la grimpe ne fut plus soumise à un
impératif naturel et aux caprices du rocher. C’est le
grimpeur et lui seul qui décidera de la nature et de
l’essence du mouvement, qui déterminera la dynamique
corporelle selon une libre disposition de prises et
points d’appuis sur un mur vierge (en béton, bois,
résine, …). On se rapproche ici de la symbolique du "
tréteau nu " cher au metteur en scène Jacques Copeau.
Ainsi, " l’espace vide " (c’est le titre d’un ouvrage
théorique de Peter Brook sur sa pratique du théâtre)
de l’escalade fut la SAE, celle-ci étant perçu comme
le lieu des possibles, un support vertical de
recherche de mouvements. Le mur d’escalade offrit donc
un champ d’exploration de l’espace inespéré et infini
pour le grimpeur. Le démiurge du geste n’était plus le
divin supérieur, mais l’individu qui parachevait son
épanouissement et la complète maîtrise de son corps.
La SAE eut encore de nombreuses conséquences. Elle
amena beaucoup de personnes à la grimpe, activité qui
devenait compatible avec une vie urbaine plus
habituelle. Et ce que l’escalade perdit en
marginalité, elle le gagna en compétitivité. Car, les
fédérations se rendirent vite compte que si les
falaises n’étaient pas des endroits idéals pour
organiser des compétitions (difficulté d’accueillir du
public, soumission aux aléas de la météo, …), les murs
présentaient une occasion en or pour " sportiviser "
(Alain Loret) la grimpe.
Les années 85/86 sonnent donc
l’arrivée de la compétition dans une activité qui,
historiquement, s’est fondée sur le refus de celle-ci.
Rappelons que ces compétitions qui visent
médiatisation (c’est l’impératif inhérent à la survie
du spectacle compétitif) et performance (la primauté
du résultat, l’augmentation du nombre d’adhérents aux
fédérations) eurent un certain impact : on peut ainsi
sourire du cas de l’emblématique Patrick Edlinger,
longtemps archétype de " l’exclu grimpeur " qui se
métamorphose soudainement en favori de coupes de
monde. Le " manifeste des dix neuf " (qu’Edlinger,
paradoxalement, signa, avec dix huit autres grimpeurs
charismatiques) qui dénonçait la menace compétitive
n’y changea rien. La compétition s’est maintenant
largement installée, puisqu’elle compte même trois
circuits (difficulté, bloc, vitesse). Peut-on
réellement parler de dérive ? Car si la pratique
compétitive constitue à certains égards la négation
des velléités de formation d’un système expressif au
sein de l’escalade, elle a fait découvrir, très
partiellement nonobstant, ce sport un large public.
Faut-il à tout prix se placer dans une logique de
recrutement et de visée olympiques ? Logique
inexorablement destructrice à long terme. Ce culte
obstiné et médiatique de la performance n’éloigne t-il
pas l’escalade du vaste champ de la création ? Cette
recherche frénétique du score et du chiffre ne consume
t-elle pas les potentialités esthétiques et
expressives de cette discipline ?
4. La danse-escalade et ses applications dans d’autres
spectacles
Une pratique contraire et digne d’intérêt s’est
développée parallèlement à la compétition, celle-ci
marque une reconquête des ouvertures créatives : la
danse-escalade. Cette dernière, que l’on peut
attribuer à deux grimpeurs de haut niveau, hostiles à
la compétition (Patrick Berhault et Antoine Le
Ménestrel), reconnaît explicitement les liens entre
danse et escalade. Elle prétend offrir à la danse une
perspective inédite d’investigation, le monde
vertical, et admet également que l’escalade en soi
reste une danse incomplète. Que ce soit dans une salle
de danse ou sur un mur d’escalade artificiel, cette
pratique se déroule toujours en hauteur, ce qui lui
donne sa spécificité. Elle fait appel à un élan
primaire qui nous pousse à grimper, à évoluer, un élan
qui nous a tous habité dans le passage à la station
verticale (cf. les danses choréiques et le corps
tremblant). Elle est donc bien plus une danse qu’un
sport, avec sa seule recherche de performance, du
toujours plus vite, plus fort et plus haut. Selon
Antoine Le Ménestrel (créateur de la compagnie Le
Lézard Bleu, la référence en la matière), " la
danse-escalade se propose de révéler un autre regard
sur les verticales qui nous entourent, un regard
poétique qui nous aide à vivre avec cette dimension
nous surplombant chaque jour, dominant notre
hiérarchie sociale et imprégnant nos constructions
mythologiques ". Si la verticale rime donc avec la
découverte et l’élaboration d’un nouvel espace, elle
amène également la dimension de la peur par le biais
de celle du vertige ; le risque objectif va pouvoir
habiter le spectacle de danse. Car s’élever dans un
milieu nécessairement hostile représente la maîtrise
de son corps face au vide, celui-là même emblème
fantomatique de l’angoisse et de la chute. Cette
crainte bien réelle du vol, planant telle l’épée de
Damoclès au-dessus de la tête du danseur, pousse au
paroxysme la maîtrise d’exécution : le geste doit être
précis et l’enchaînement sans erreur. " Cela amène à
se responsabiliser : face à la peur, à une difficulté,
on ne peut sauter, se cacher, il faut compter sur sa
propre maîtrise pour continuer à évoluer " (Antoine Le
Ménestrel). Cette responsabilisation induit en plus
une prise en compte d’autrui, dans une vue quasi
empathique, sinon altruiste. Ces spectacles, étant
rarement des solos, se pratiquent généralement à deux.
Ils permettent de développer un lien réel et
imaginaire avec autrui, par l’intermédiaire de la
corde ou de l’acte de parade. " Dans cet univers
vertical, l’autre est là pour nous accompagner "
(Antoine Le Ménestrel). Il s’agit donc de constituer à
exploiter le sol dans sa planéité (et non dans sa
platitude car il reste d’une grande richesse) mais
aussi de se servir de la paroi verticale dans une
perspective de recherche, de réflexion et de création.
Le mur, support de notre imagination, devient un
instrument de découverte de nouveaux espaces gestuels.
De nombreux spectacles de danse, sans être à
proprement parlé de la danse-escalade, usent de cette
dynamique ascensionnelle pour remplir les hauteurs
offertes par l’espace. L’escalade permet cette quête
dimensionnelle et la chorégraphie ne s ‘étale ainsi
plus en surface mais dans le volume. Pour exemple, le
dernier spectacle de la compagnie Accrorap, "
M’Panandro, le Maître de Cérémonie " se sert de
l’escalade à des fins largement heuristiques. Ainsi,
en plus de nous offrir cette gestuelle verticale
originale, les danseurs se posaient dans des postures
délicates où la chute aurait été douloureuse. Cette
situation de risque peut être interprétée comme la
métaphore du peuple algérien souffrant et
perpétuellement en danger. Notons enfin cette figure
insolite inoubliable où un danseur grimpe sur un autre
danseur, s’enroule autour de sa tête tel un serpent se
lovant autour d’un arbre, mais surtout,
symboliquement, comme un baillons empêchant les cris
de secours de nous parvenir.
5. Conclusion
Fort est de constater la difficulté quasi exégétique
d’approcher clairement l’écheveau relationnel entre le
sport, la danse et l’escalade. Il apparaît néanmoins
flagrant que cette dernière entretient un lien d’une
remarquable intensité avec la danse et l’art en
général. Mais, la question de l’usage reste plus que
jamais prédominante ; la détermination du type de
pratique, la localisation de l’univers où cette
activité se situe (sphère créative, reproductive,
sportive) devient essentielle. Car on peut pratiquer
l’escalade avec inanité, sans jamais se soucier d’une
démarche artistique, alors que celle-ci habite plus
inévitablement la danse, activité originelle et
originale qui s’entrelace étroitement avec le désir
d’œuvrer, de créer.
La catégorisation stricte des disciplines est
assurément une impasse, impasse que l’art contemporain
s’efforce cependant de briser. Il apparaît impératif
de reconnaître la subtile complexité des interactions
entre les champs créatifs : percevoir la danse comme
l’escalade comme un va-et-vient continu entre une
austère répétition et une pensée expansive du geste.
Fondamentalement, associer ces activités, se soutenant
et s’accompagnant tour à tour, est une vision
d’avenir. Que la danse sache s’ouvrir cette porte vers
un nouvel espace se livrant pleinement à la tentation
de la verticalité, et elle s’épanouira alors dans une
euphorique maturité esthétique, peut-être le summum de
la post-modernité.
6. Bibliographie.
- M. Serres, Variation sur le corps, Editions du
Pommier.
- Y. Vargas, Sur le sport, Presses Universitaires de
France.
- A. Loret, Génération Glisse, Editions Autrement.
- P. Brook, L’Espace vide, Seuil.
- J. Baudrillard, L’échange symbolique et la mort,
Gallimard.
- P. Pavis, L’analyse des spectacles, Nathan
Université.
- P. Bourcier, Histoire de la danse en occident,
2tomes, Seuil.
- J.J. Roubine, Introduction aux grandes théories du
théâtre, Bordas.
- Encyclopédie Universalis, articles sur le sport.