Danse et escalade : relations, contradictions
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Florent WOLFF
Département Arts du spectacle. Université de Metz.
2000



1. Introduction
2. Le sportif et le danseur, liens et divergences
3. L’escalade, plus art que sport ?
4. La danse-escalade et ses applications dans d’autres spectacles
5. Conclusion
6. Bibliographie



1.Introduction
Rapprocher l’art au sport n’est pas une démarche innovante en soi, mais elle n’en est pas moins légitime. De nombreux arguments font apparaître la pertinence d’une telle union. Union qui semble se justifier de façon encore plus éclatante lorsqu’il s’agit de comparer l’escalade et la danse.
Il s’agira ici de déceler leurs spécificités et de constater la convenance d’un tel rapport, mais également l’usage conséquent qu’il peut exercer sur d’autres formes spectaculaires.
Autrement dit, l’intérêt sera porté sur le potentiel qu’à l’escalade de s’exporter vers d’autres spectacles.

J’ai choisi de sauter une partie qui aurait pu pourtant apparaître nécessaire, celle sur le sport en général, ses origines et sa fonction sociale. Cela aurait certes pu nous éclaircir, mais s’attaquer à ces questions me semble trop vaste, et ne ressort pas de ma compétence.
Le devoir qui va suivre n’a nullement l’ambition d’être une somme, encore moins une synthèse des connaissances à ce sujet, mais uniquement un simple point de vue sur une question que n’importe quel grimpeur et danseur peuvent se poser.


2. Le sportif et le danseur, liens et divergences
Postuler qu’un danseur soit sportif est a priori mieux accepté que de dire qu’un sportif est un danseur. Voyons pourquoi.
Le danseur, cet athlète créateur (ou reproducteur ?) de mouvements, possède un corps qu’il doit maîtriser en toutes circonstances. Souplesse, puissance et endurance sont des dénominateurs communs aux corps du sportif et du danseur.
Dans les deux cas, la formation physique requiert un entraînement assidu, voire ascétique. Un spectacle de danse constitue un effort très souvent dur, proche en intensité d’une performance gymnastique.

La performance ne serait néanmoins pas une finalité en danse où prévaudrait la recherche gestuelle.
Quoiqu’un spectacle tel Hip-Hop Opéra, de la compagnie Accrorap, est, je pense, largement basé sur l’exploit physique et sur le culte du corps performatif.
Étonnement, comme en danse classique où il s’agit de reproduire le plus précisément des figures du répertoire, les danses Rap appartiennent à cette même logique, celle d’une fidélité à des mouvements désormais codifiés.
On se concentre d’avantage sur l’exactitude plutôt que sur l’innovation, moins sur la pensée que sur le physique.
Ceci étant une constatation nullement péjorative. Cela dit, plus globalement, le danseur semble plus désintéressé dans sa pratique, et s’il vise une performance, elle sera fondamentalement plus créatrice que sportive.
La logique de rentabilité, elle, anime l’esprit sportif.
Ainsi, quoiqu’il admette une libre expression du corps, le sport exulte plus dans la consummation de ses énergies et dans un travail technique rigoureux visant l’économie des efforts dans la production d’une performance.
Certes, le danseur souhaite également faire au mieux, mais cette aspiration à l’exploit n’est, elle, pas mesurable. Le chronomètre, outil essentiel dans de nombreuses disciplines sportives, ne serait guère efficace dans l’appréciation d’un spectacle de danse.
Le sport, de par sa large diffusion médiatique et son obstination du record, se soumet à l’impératif du temps et de la durée, là où la danse tend à s’en écarter.
Reconnaissons enfin que de nombreux sports, loin de toutes velléités expressives, se réduisent au seul développement musculaire, forcément répétitif, en vue de grappiller quelques secondes. Mais on pourrait tout autant imaginer des danseurs esclaves (les danseurs étoiles ?), simples exécutants mécaniques des ordres d’un chorégraphe tyrannique.

Quant à la dimension de la réflexion introvertie sur son corps, je pense qu ‘elle anime de nombreux sportifs de précision (tir à l’arc, saut en hauteur, …).
D’ailleurs, en escalade, les pulsations contractives du muscle, ainsi que la répartition du poids du corps et de l’occupation de celui-ci dans l’espace, sont des perceptions aussi présentes que nécessaires.

L’efficience de ces activités de discernement amène cet usage raisonné du corps à s’inscrire au sein même de la formation plus globale de l’homme.
" Éduquer le corps dans l’âme ", tel était le projet de Montaigne (et celui de Rousseau dans l’Emile), persuadé que " les jeux physiques seront une bonne partie de l’étude ". Cet adage est largement appliqué puisque l’école dispense de cours " d’éducation physique " (la danse y étant d’ailleurs assimilée à un sport).
Ces pratiques somatiques sont appréciées par les institutions comme un réel élément de formation morale du caractère, voire comme une promesse d’accession à un équilibre interne harmonieux.
Bien plus qu’un simple culte volontaire et habituel de l’effort intensif, le sport serait également " le seul moyen de conserver dans l’homme les qualités de l’être primitif ; il consiste à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus fortes de l’âme : l’énergie, l’audace et la patience " (Jean Giraudoux).
On voit ici que, parmi les quatre propriétés principales autour desquelles se construit l’image du sportif (la force et les réflexes, la grâce et l’énergie), les deux dernières sont assez directement proche de la danse.

Enfin, pour clore cette première partie, j’aimerai évoquer une interaction assez notable entre danse et sport. Si celui-ci est par essence un spectacle, il tend à devenir un spectacle à part entière, une véritable stratégie stylisée et intelligente (Paul Veyne dira même qu’un match est " un système sémiotique "), et parallèlement, il influence la danse qui inclue de plus en plus de sport dans ses spectacles.
Comme si le sport, ayant acquis une importance publique et médiatique considérable au vingtième siècle, devenait un paradigme pour de nombreuses pratiques, y compris artistiques.
Ainsi, on a vu de l’art sous l’appellation de " performance " (happenings). Ou encore, des spectacles de danse (toujours l’exemple d’Accrorap), acculés d’un préjugé d’hermétisme, pensent s’ouvrir et se démocratiser grâce à l’usage du sport.
Selon moi, on trouve une dérive, aussi symptomatique que paroxystique, dans le patinage sur glace, qui est une danse que l’on a codifiée de façon sportive et compétitive (comme le démontre " la note artistique " délivrée par les juges qui s’attribuent ainsi le pouvoir d’évaluer arbitrairement une esthétique).


3. L’escalade, plus art que sport ?
L’escalade entretient un rapport des plus nuancés avec le sport et la danse, comme s’il se situait exactement à mi-chemin entre les deux.
Tachons d’analyser ces relations et leurs ambiguïtés.
" Action de gravir en s’élevant ", telle est la définition de l’escalade dans Le Petit Larousse, une définition qui m’apparaît assez réductrice, voire obsolète.
Ainsi, l’escalade n’est plus qu’une simple ascension de montagne ou la poursuite de l’extase du sommet ; la dimension du gravir tend même à y péricliter inéluctablement.
C’est ce qu’indique Alain Loret dans Génération Glisse (p.160) : " depuis 1953, l’escalade ne s’inscrit plus dans la formule olympique de toujours plus haut. […] Atteindre le sommet de l’Everest a véritablement " décapité " l’escalade en lui imposant un nouveau concept, […] celui de grimper toujours plus bas ". La pratique de la traversée (itinéraire latéral, et non plus vertical, du grimpeur) est à ce titre exemplaire et prouve que la finalité ou le plaisir réside dans l’acte même de grimper, et non plus dans l’atteinte du sommet.
Car l’acte de grimper est inhérent à une gestuelle riche et variée, celle-là même dictée par le rocher.
Ainsi le grimpeur libre " à la Edlinger " (issu du courant esthétisant et de la contre-culture) décryptera les prises que lui offre le support minéral, et, au besoin, en sélectionnera pour trouver des mouvements originaux.
D’ailleurs, les aptitudes physiologiques du bon grimpeur sont proches de celles du danseur et acrobate (souplesse, finesse et grâce dans la mobilité du corps, musculature dans les bras et le haut du corps en général) et il usera au profit d’une certaine recherche esthétique dans sa gestuelle, plus que dans la simple réussite d’un passage.
Mais si les mouvements sont générés par le rocher, la chorégraphie serait donc minérale et ne céderait que peu à " l’intentio autoris ". Loin d’être un démiurge, le grimpeur ne ferait qu’exécuter une gestuelle dictée par hasard naturel.
Sans entrer dans le débat platonicien et des romantiques sur la supériorité, ou non, de la Nature sur l’Art, il est indéniable que notre escalade ( " l’opéra vertical ", selon les mots de Patrick Edlinger) comporte un haut degré d’aléatoire puisqu’elle s’en remet à la fortune géologique, elle, largement déterminée.

Cela dit art et hasard font de plus en plus bon ménage au vingtième siècle. La musique expérimentale (John Cage), la peinture et l’écriture automatiques (les " cadavres exquis " des surréalistes) et bien sûr toute la danse contemporaine qui s’écarte depuis plus d’un siècle des académismes du répertoire classique.
Ainsi Isadora Duncan et Ruth Saint Denis, pionnières de la danse moderne, refusent ce carcan de l’apprentissage précoce au profit d’une expression plus intérieure, par le biais de la formation de l’esprit.
Mais c’est surtout les Events de Merce Cunningham qui retiendront notre attention à cause de la part belle qu’ils laissent au hasard, comme si la grimpe moderne s’était inspirée de ses méthodes.
" Quant je compose une chorégraphie en jouant à pile ou face (c’est-à-dire en me fondant sur le hasard), je tire mes ressources de ce jeu qui n’est pas le produit de ma volonté mais qui est une énergie et une loi auxquelles moi-même j’obéis " (L’art permanent, 1964).
D’autres théories de la danse contemporaine peuvent se rapprocher de l’escalade, comme celles de Martha Graham et son insistance sur une dialectique contraction-décontraction du volume musculaire (tension, release), également présente dans un effort de grimpe (en continuité comme en bloc).
Puis, si le rocher implique une occurrence gestuelle aléatoire, il participe également à un rapport sensible, voire sensuel, avec le corps. Ainsi, le contact charnel, quasi symbiotique, établi avec le corps minéral peut se comparer à la relation qu ‘entretient le danseur avec le sol, élément essentiel s’il en est.
On peut également retrouver le corps à corps en escalade (très commun en danse), par le biais cet attouchement assez maternel qu’est la parade. Dans la pratique du bloc ou de la traversée (sans corde), la chute potentielle est retenue et amoindrie par une personne, restant au sol, qui suit au plus près de ses mains le déplacement du grimpeur.

Enfin, pour achever ce paragraphe sur les rapports des corps, on trouve, plus implicitement, un échange d’une certaine force entre le grimpeur et l’assureur qui maintient la corde au bas de la paroi.
Une communication symbolique de confiance s’établit est ainsi amenée par cet outil garant de vie qu’est la corde, une représentation métaphorique mais évidente du cordon ombilical. La corde rattache le grimpeur au sol comme le cordon ombilical fait vivre l’embryon puis le fœtus : des liens protecteurs, de sauvegarde, de survie. On voit ici que l’escalade pose une correspondance assez freudienne avec la naissance et la mère, et cela dans un rapport de dépendance et d’ontogenèse, comme pourraient l’être, historiquement, les danses primitives dites du " corps tremblant ".
Ainsi, les danses choréiques qui reproduisaient les hésitations qu’avait l’enfant lors de l’apprentissage des mécanismes fondamentaux (la marche, la peur du monde, …).
L’acte gravitant peut enfin être perçu comme une redécouverte du péché originel. Lorsque le serpent escalada l’arbre pour offrir la pomme qui fit chasser Eve du paradis. D’un point de vue biblique, l’escalade représenterait-elle une manifestation transgressive fondamentale ?

En plus d’être symbolique, la présence de la transgression en escalade est aussi effective et conséquente.
Ainsi, sociologiquement, le milieu des grimpeurs est assez ouvertement contestataire et très emprunt de l’idéologie soixante-huitarde et de la contre-culture issue de la B-Generation (cf. les articles sur le film d’escalade et le solo).
Nombre de grimpeurs du début des années 70/80, loin du sportif aseptisé et sponsorisé, voyageaient marginalement de falaises en falaises, animé par un idéal picaresque de nomadisme (a posteriori assez caricatural tant cela fut poussé), et se nourrissait d’eau et de fruit tout en lisant Kerouac.
En toute logique, le grimpeur se situait politiquement à gauche, proclamait quelques fois un discours écologiste assez extrémiste (dans l’Elbsandstein allemand, on grimpait pieds nus et sans magnésie pour ne pas salir le rocher) refusant la débauche consommatrice qui l’entourait.
Cela pour dire que l’escalade libre moderne naquit dans une thématique protestataire recyclant des thèses anarchistes, écologistes et leurs pratiques (refus de la sédentarisation, usage de drogues, engagement politique, …) ; thèses habituellement propres aux champs artistiques contemporains (lettrisme, land art, B-Generation, cinéma underground américain des 50/60, …).
De nombreux mouvements artistiques servirent donc de paradigme pour une escalade qui s’efforçait de devenir expressive, comme déterminée à transmettre à tout prix une idéologie.
Ces intentions, aussi expressives que significatives, furent vite servies (ou desservies ?) par un outil qui révolutionna le monde de l’escalade : la SAE (Structure Artificielle d’Escalade).
Car si la SAE éloigna assurément les grimpeurs du rocher, de l’environnement minéral, des préoccupations écologistes et des rapports avec le naturel, elle les rapprocha d’une relative autonomie créatrice.
Ainsi, la gestuelle de la grimpe ne fut plus soumise à un impératif naturel et aux caprices du rocher.
C’est le grimpeur et lui seul qui décidera de la nature et de l’essence du mouvement, qui déterminera la dynamique corporelle selon une libre disposition de prises et points d’appuis sur un mur vierge (en béton, bois, résine, …).
On se rapproche ici de la symbolique du " tréteau nu " cher au metteur en scène Jacques Copeau. Ainsi, " l’espace vide " (c’est le titre d’un ouvrage théorique de Peter Brook sur sa pratique du théâtre) de l’escalade fut la SAE, celle-ci étant perçu comme le lieu des possibles, un support vertical de recherche de mouvements.
Le mur d’escalade offrit donc un champ d’exploration de l’espace inespéré et infini pour le grimpeur. Le démiurge du geste n’était plus le divin supérieur, mais l’individu qui parachevait son épanouissement et la complète maîtrise de son corps.
La SAE eut encore de nombreuses conséquences. Elle amena beaucoup de personnes à la grimpe, activité qui devenait compatible avec une vie urbaine plus habituelle. Et ce que l’escalade perdit en marginalité, elle le gagna en compétitivité.
Car, les fédérations se rendirent vite compte que si les falaises n’étaient pas des endroits idéals pour organiser des compétitions (difficulté d’accueillir du public, soumission aux aléas de la météo, …), les murs présentaient une occasion en or pour " sportiviser " (Alain Loret) la grimpe.

Les années 85/86 sonnent donc l’arrivée de la compétition dans une activité qui, historiquement, s’est fondée sur le refus de celle-ci. Rappelons que ces compétitions qui visent médiatisation (c’est l’impératif inhérent à la survie du spectacle compétitif) et performance (la primauté du résultat, l’augmentation du nombre d’adhérents aux fédérations) eurent un certain impact : on peut ainsi sourire du cas de l’emblématique Patrick Edlinger, longtemps archétype de " l’exclu grimpeur " qui se métamorphose soudainement en favori de coupes de monde.
Le " manifeste des dix neuf " (qu’Edlinger, paradoxalement, signa, avec dix huit autres grimpeurs charismatiques) qui dénonçait la menace compétitive n’y changea rien.
La compétition s’est maintenant largement installée, puisqu’elle compte même trois circuits (difficulté, bloc, vitesse).
Peut-on réellement parler de dérive ? Car si la pratique compétitive constitue à certains égards la négation des velléités de formation d’un système expressif au sein de l’escalade, elle a fait découvrir, très partiellement nonobstant, ce sport un large public.
Faut-il à tout prix se placer dans une logique de recrutement et de visée olympiques ?
Logique inexorablement destructrice à long terme.
Ce culte obstiné et médiatique de la performance n’éloigne t-il pas l’escalade du vaste champ de la création ?
Cette recherche frénétique du score et du chiffre ne consume t-elle pas les potentialités esthétiques et expressives de cette discipline ?


4. La danse-escalade et ses applications dans d’autres spectacles
Une pratique contraire et digne d’intérêt s’est développée parallèlement à la compétition, celle-ci marque une reconquête des ouvertures créatives : la danse-escalade.
Cette dernière, que l’on peut attribuer à deux grimpeurs de haut niveau, hostiles à la compétition (Patrick Berhault et Antoine Le Ménestrel), reconnaît explicitement les liens entre danse et escalade.
Elle prétend offrir à la danse une perspective inédite d’investigation, le monde vertical, et admet également que l’escalade en soi reste une danse incomplète.
Que ce soit dans une salle de danse ou sur un mur d’escalade artificiel, cette pratique se déroule toujours en hauteur, ce qui lui donne sa spécificité. Elle fait appel à un élan primaire qui nous pousse à grimper, à évoluer, un élan qui nous a tous habité dans le passage à la station verticale (cf. les danses choréiques et le corps tremblant).
Elle est donc bien plus une danse qu’un sport, avec sa seule recherche de performance, du toujours plus vite, plus fort et plus haut.
Selon Antoine Le Ménestrel (créateur de la compagnie Le Lézard Bleu, la référence en la matière), " la danse-escalade se propose de révéler un autre regard sur les verticales qui nous entourent, un regard poétique qui nous aide à vivre avec cette dimension nous surplombant chaque jour, dominant notre hiérarchie sociale et imprégnant nos constructions mythologiques ".
Si la verticale rime donc avec la découverte et l’élaboration d’un nouvel espace, elle amène également la dimension de la peur par le biais de celle du vertige ; le risque objectif va pouvoir habiter le spectacle de danse.
Car s’élever dans un milieu nécessairement hostile représente la maîtrise de son corps face au vide, celui-là même emblème fantomatique de l’angoisse et de la chute.
Cette crainte bien réelle du vol, planant telle l’épée de Damoclès au-dessus de la tête du danseur, pousse au paroxysme la maîtrise d’exécution : le geste doit être précis et l’enchaînement sans erreur. " Cela amène à se responsabiliser : face à la peur, à une difficulté, on ne peut sauter, se cacher, il faut compter sur sa propre maîtrise pour continuer à évoluer " (Antoine Le Ménestrel).
Cette responsabilisation induit en plus une prise en compte d’autrui, dans une vue quasi empathique, sinon altruiste.
Ces spectacles, étant rarement des solos, se pratiquent généralement à deux. Ils permettent de développer un lien réel et imaginaire avec autrui, par l’intermédiaire de la corde ou de l’acte de parade. " Dans cet univers vertical, l’autre est là pour nous accompagner " (Antoine Le Ménestrel).
Il s’agit donc de constituer à exploiter le sol dans sa planéité (et non dans sa platitude car il reste d’une grande richesse) mais aussi de se servir de la paroi verticale dans une perspective de recherche, de réflexion et de création.
Le mur, support de notre imagination, devient un instrument de découverte de nouveaux espaces gestuels.
De nombreux spectacles de danse, sans être à proprement parlé de la danse-escalade, usent de cette dynamique ascensionnelle pour remplir les hauteurs offertes par l’espace.
L’escalade permet cette quête dimensionnelle et la chorégraphie ne s ‘étale ainsi plus en surface mais dans le volume.
Pour exemple, le dernier spectacle de la compagnie Accrorap, " M’Panandro, le Maître de Cérémonie " se sert de l’escalade à des fins largement heuristiques.
Ainsi, en plus de nous offrir cette gestuelle verticale originale, les danseurs se posaient dans des postures délicates où la chute aurait été douloureuse. Cette situation de risque peut être interprétée comme la métaphore du peuple algérien souffrant et perpétuellement en danger.
Notons enfin cette figure insolite inoubliable où un danseur grimpe sur un autre danseur, s’enroule autour de sa tête tel un serpent se lovant autour d’un arbre, mais surtout, symboliquement, comme un baillons empêchant les cris de secours de nous parvenir.


5. Conclusion
Fort est de constater la difficulté quasi exégétique d’approcher clairement l’écheveau relationnel entre le sport, la danse et l’escalade.
Il apparaît néanmoins flagrant que cette dernière entretient un lien d’une remarquable intensité avec la danse et l’art en général.
Mais, la question de l’usage reste plus que jamais prédominante ; la détermination du type de pratique, la localisation de l’univers où cette activité se situe (sphère créative, reproductive, sportive) devient essentielle.
Car on peut pratiquer l’escalade avec inanité, sans jamais se soucier d’une démarche artistique, alors que celle-ci habite plus inévitablement la danse, activité originelle et originale qui s’entrelace étroitement avec le désir d’œuvrer, de créer.

La catégorisation stricte des disciplines est assurément une impasse, impasse que l’art contemporain s’efforce cependant de briser.
Il apparaît impératif de reconnaître la subtile complexité des interactions entre les champs créatifs : percevoir la danse comme l’escalade comme un va-et-vient continu entre une austère répétition et une pensée expansive du geste.
Fondamentalement, associer ces activités, se soutenant et s’accompagnant tour à tour, est une vision d’avenir.
Que la danse sache s’ouvrir cette porte vers un nouvel espace se livrant pleinement à la tentation de la verticalité, et elle s’épanouira alors dans une euphorique maturité esthétique, peut-être le summum de la post-modernité.




6. Bibliographie.
- M. Serres, Variation sur le corps, Editions du Pommier.
- Y. Vargas, Sur le sport, Presses Universitaires de France.
- A. Loret, Génération Glisse, Editions Autrement.
- P. Brook, L’Espace vide, Seuil.
- J. Baudrillard, L’échange symbolique et la mort, Gallimard.
- P. Pavis, L’analyse des spectacles, Nathan Université.
- P. Bourcier, Histoire de la danse en occident, 2tomes, Seuil.
- J.J. Roubine, Introduction aux grandes théories du théâtre, Bordas.
- Encyclopédie Universalis, articles sur le sport.