Le relais 10 secondes

image
Nouvelle : Antoine Reaud

Cela fait maintenant 5 jours que je grimpe non stop dans le décor paradisiaque d’Ailefroide. Le camping au pied des glaciers, la grimpe au pied du camping. Quel plaisir de ne pas avoir à prendre la voiture pour se rendre au départ des voies. 30 minutes de marche, tout au plus, suffisent à se rendre sur site.
 

Dessin : Audrey Macon


La météo est des plus clémentes en ce mois de juillet : ensoleillé mais frais. Normal me direz-vous, nous sommes tout de même à 1 400 m d’altitude. Cependant la fraîcheur est ici un allié bien futile pour vous empêcher de zipper sur ces mini pieds si caractéristiques de la région. En ce domaine, je vous recommande plutôt la prière et pour maximiser vos chances de réussite je vous conseille de pratiquer plusieurs religions. Sait-on jamais. Oh bien sûr ce n’est pas facile au départ de grimper de là sorte, c’est même frustrant de ne rien avoir à se mettre sous la main et de ne devoir compter que sur son gros orteil pour faire le boulot. Mais on s’y habitue. On finirait même par y prendre du plaisir. Si je vous le dis.

Alors que les premiers jours furent consacrés à tantôt se prendre des baffes et tantôt se prendre des baffes, aujourd’hui le but est tout autre. Au grès de nos vadrouilles nous sommes tombés sur un groupe de cafiste en plein pèlerinage annuel. Nous en connaissions certains et il était certain que cela finirait autour d’un apéro. D’ailleurs il convient de rappeler, à toutes fins utiles, qu’il n’est pas conseillé de boire la marquisette directement au saladier. Je dis ça je dis rien.

Bref, alors que notre jolie voisine de camping recherche un binôme pour la journée de samedi, je décline la proposition au profit d’une aventure des plus palpitantes avec un maître des lieux. Un aficionados de la montagne, un sage parmi les sages : un vieux briscard du CAF. Une chose est sûre, la Drômoise a de bien plus jolis yeux que mon compagnon de cordée, mais connaît-elle les secrets d’un “Relais 10 secondes” et d’une “plaquette Gigi” ? Je n’en mettrais pas ma corde à couper. Et puis la parole donnée autour d’un saladier de marquisette ne peut être reprise.


 

Dessin : Audrey Macon


En ce dernier jour de grimpe je me laisse alors totalement guider par l'amphytrion même des lieux. C’est un soulagement pour moi car j’en ai ras le sac à pof de me perdre tous les matins pour trouver les départs des voies. Au moins aujourd’hui je n’ai qu’à me laisser guider. Et cela commence bien car nous nous perdons quand même. A croire que certaines choses ne changent pas. Au moins cela à le mérite de nous échauffer et, alors que je grogne pour traverser un buisson récalcitrant mon compagnon s’exclame “un vrai sanglier lui ! Il passe partout !”. Pas mal cette expression, je la note tranquillement dans un coin de ma tête.

Au terme de cette pérégrination involontaire nous finissons tout de même par atteindre le départ. On se prépare. Je délove ma corde mais l’espace d’un instant je panique. Mes dégaines ! J’ai oublié mes dégaines ! Je lève la tête effaré et je tombe sur mon binôme en train de sortir les siennes de dégaines. Ah oui ça me revient, la veille il a insisté pour que l’on prenne son jeu à lui. Je ne sais pas trop pourquoi. Elles ne sont soit-disant pas adaptées à la grande voie. Quand je vois les morceaux qui sont extraits du sac, je comprends mieux ce qu’il voulait dire. Alors que mon jeu de dégaines compte 4 paires rallongées tout au plus, le sien compte 4 dégaines courtes tout au plus. Certaines descendent même jusqu’au genoux. Et je ne parle même pas de celles faites avec une dynema. Il n’y en a pas deux pareilles dans ce joyeux bazar. Et je ne préfère pas m’attarder sur celles qui sont rafistolées à droite à gauche. Ça a quel âge tout ce matos ? Bon au moins ma corde est neuve, ça fait baisser la moyenne.

Tandis que je m’équipe en silence j’hérite de ma première remontrance : “ Tu vas vraiment emmener tout ça ? T’es plus chargé qu’un mulet. Bon de toute façon maintenant c’est trop tard, entre l’avoir au cul ou dans le sac…” Je crois que j’ai pris un peu trop de mousquetons et de sangles à son goût. Et c’est quoi cette manière de toujours me comparer à un animal ?

Mon joyeux binôme accepte cependant le talkie-walkie à ma grande surprise. Après l’avoir allumé je comprends mieux pourquoi. Il se met tout de suite sur le canal de ses copines qui grimpent à côté et leur raconte des blagues sans plus attendre. Je sens qu’on va se mettre bien moi. Bon c’est bien fini de rigoler mais on a une montagne à gravir, nous.
C’est lui qui part en premier et il grimpe vite le bougre, il n’y a pas à dire. Quand c’est à mon tour de me mettre en branle je ne peux m’empêcher d’ajouter un style non nécessaire à l'ascension, croisements excessifs, lolottes en tout genre. L’heure est à la fioriture, je badine, je cabotine avec le rocher.

Arrivé au premier relais je tombe sur une installation que je n’avais encore jamais vu. Vaché à la dégaine, assuré sur un point, le système est minimaliste. Face à mon étonnement je me vois prendre un cours accéléré sur les différents types d'ancrages et les statistiques d’accidents en montagne. Le tout tandis qu’il me liste tout ce que je dois faire. J’ai l’impression d’être en stage d’initiation. Toujours est-il que j’apprends beaucoup, surtout l’utilisation de cette mystérieuse plaquette Gigi.

Je décolle et aussitôt parti la chambre continue “Mais arrête de poffer à chaque prise ! “ “A ça pour arquer de la réglette ya du monde mais pour poser ses pieds y'a plus personne !”. Quelle idée j’ai eu de lui proposer le talkie-walkie ! Je prends mon mal en patience et réfléchis à des réponses cinglantes. Arrivé au second relais j’hésite entre mon installation habituelle et son installation simplifiée. Je n’ose pas encore changer de méthode et part sur mon modèle classique du relais, non sans récolter durant la manip dès “Qu’est-ce que tu fous, tu tricotes ?” “C’est un relais dix secondes ou un relais dix minutes ?” Bon sang il les trouve où toutes ces phrases plus accrochantes les unes que les autres ? Il se bidonne l’asticot.

 

Dessin : Audrey Macon



Il me rejoint et par magie butte sur un court passage en dévers. Je saute sur l’occasion : “Pour poser ses pieds ya du monde mais pour tirer sur ses bras ya plus personne !” “Bon on a pas toute la journée !” “ah c’est toujours de l’escalade quand on tire au clou ?” L’entendre grogner sous mes railleries me fait sourire jusqu’aux oreilles. On est bien ici. Mais alors qu’il me rejoint au relais, il s’immobilise tel un chien d’arrêt et lâche, le regard fixé sur mon mic-mac : “qu’est-ce que c’est que tout ce foutoir ? Tu comptes ouvrir un magasin ?”. Une chose est sûre, on ne s'ennuie pas.

La longueur suivante ouverte par le cafiste n’est pas bien difficile. Par contre celle qui s’ensuit recèle quelques surprises. J’aurais tout de même pu jeter un coup d'œil au topo pour me faire une idée de la sauce à laquelle j’allais être mangé. Ainsi même si nous nous chambrons la plupart du temps, j’apprécie le fait que les vannes laissent place aux encouragements lorsque la difficulté est réelle. De vrais gentlemen.

Mes relais suivants lui conviennent bien plus et je me surprends à remarquer qu’en effet, 10 secondes à peine s’écoulent entre le moment où il me rejoint et celui où il repart. Je viens d’effectuer mes premiers relais 10 secondes et je n’en suis pas peu fier.

Dans le talkie-walkie les copines ont l’air de passer elles-aussi un sacré moment. La discussion tourne aussi bien des pas retors que du prochain apéro. Pour ce qui me concerne, quelques heures ne seront pas de trop avant d’ingurgiter de nouveau un quelconque breuvage alcoolisé. Mais trêve de mondanité, retournons à nos prises.

La dernière longueur est assez jolie, il s’agit d’un louvoiement au travers d’un toit afin d’en esquiver toutes les difficultés. Difficultés que je n’arrive d’ailleurs pas à toutes éviter car je me retrouve à devoir sortir des sections bien au-delà de la cotation. Cela m’apprendra à ne pas regarder où je mets les mains. Car s’il y a bien un domaine où j’excelle c’est le serrage de crougne superflu avec comme spécialité le bac à proximité. Je ne compte plus les fois où, en plein exercice de contorsion à la limite de la rupture, mes yeux se posèrent sur un bac inaperçu jusqu’alors. Bref, c’est à grand renfort de coincements de talons, de mouvements dynamiques et de prise de risque inconsidérée que je libère cette dernière longueur. Pour être tout à fait honnête, cela serait mentir de nier que cette gestuelle superfétatoire n’a pas pour objectif d’épater la galerie. On ne se refait pas, que voulez-vous.

 


Dessin : Audrey Macon


Ma plus grande déception de cette dernière longueur est de ne pas pouvoir observer mon second lorsqu’il me rejoint. Sachant que le dévers allait le mettre en difficulté, j’avais préparé une multitude de vannes toutes plus cinglantes les unes que les autres. Mon unique lot de consolation est la corde qui se tend, témoin timide d’une pause de mon comparse. Je lance tout de même à l’occasion des “ Il y a du tirage nan ?” ou encore “ Je te prends trop sec ?” bien acides. Mais l’effet n’est pas le même j’en conviens.

Arrivés au sommet, je dégaine une petite collation sous le regard incrédule de mon partenaire : “ Tu fais quoi là ?
Euh ben je mange un bout, tu ne manges jamais une fois arrivé en haut ?
Non. On a terminé une fois qu’on est arrivé au camping. Range-moi ça, cela se couvre un peu en plus. On prépare le rappel.


Bon sang il est strict l’animal. Je m’exécute, non sans croquer au passage dans mon sandwich jambon gruyère. Il me toise alors d’un air dédaigneux : “Tu bouffes plus qu’un bœuf toi ma parole !”

On jette les deux brins de corde. Je lui explique rapidement que je suis maudit, que je n’ai jamais redescendu une grande voie sans devoir faire de remonté sur corde car j’avais loupé un relais. Il ne veut rien savoir : les relais de descente sont ceux de la voie. Je descends en premier, les cordes se sont coincées dans un arbre en contrebas. Je démêle tout ça et rejette le tout. C’est alors que j’entends une série de jurons. Je descends et tombe sur un italien qui n’a pas vraiment apprécié de recevoir deux cordes et une pluie de gravillons sur la tête pendant qu’il grimpait. C’est qu’il vocifère le bougre. Je laisse passer l’orage et lui précise que je ne peux pas faire grand chose, les rappels sont dans la voie, je ne le vois pas d’en haut et j’ai crié avant de jeter les cordes. Il se calme et s’excuse même de s’être emporté.

 

Dessin : Audrey Macon


Arrivé en bas nous rangeons tranquillement nos affaires et repartons par ce qui aurait dû être notre chemin d’arrivée. La descente, bien plus agréable que la montée, offre une vue dégagée aussi bien sur le camping en contre bas que sur le glacier en contre haut. Finalement, les nuages se sont dissipés et le soleil est pleinement de retour.

De retour nous le sommes aussi puisque nous nous installons à la terrasse habituelle des cafistes. Je comprends mieux pourquoi mon joyeux drille souhaitait se dépêcher, je ne sais pas comment il a senti l’affaire mais nous arrivons pile-poil en même temps que le reste de l’équipe. Les bières sont commandées, les crêpes aussi. Pris au dépourvu je n’ai pas de quoi payer et sans dire un mot voilà qu’il m’offre une bière.

Ca papote sec et je m’inquiète de ne pas voir arriver mes deux amis qui étaient juste derrière nous dans la voie, enfin juste derrière nous au départ seulement car eux n’ont pas été initiés au relais 10 secondes.

Cela me fait tout drôle d’être de retour au camping si tôt. D’habitude je rentre bien plus tard pour des raisons X ou Y (recherche pénible du départ de la voie, recherche pénible de l’itinéraire dans la voie, recherche pénible des relais de rappel, recherche pénible du chemin de retour…). Je ne sais pas quoi faire de mon après-midi alors je retourne voir les cafistes. On me propose un tarot, je m’empresse d’accepter.

Tandis que nous battons les cartes les discussions vont bon train. Enfin jusqu’à ce qu’on me vole ma garde-contre par une mal-donne ! C’est un coup de 200 points qui me file entre les doigts ça !
La pilule ne passe pas et je termine la partie en bon dernier. Non content de savoir grimper il faut en plus qu’ils sachent jouer aux cartes ces cafistes !

 

Dessin : Audrey Macon