📣 Victor Guillermin revient sur son ascension d'Aloha 9a au Kronthal

Victor Guillermin revient sur sa réalisation d'Aloha.
Propos recueillis par Antoine Reaud.
Tiens ?! Il y a une plaque 76 au Kronthal aujourd’hui ? Qui donc a été assez fou pour traverser la France dans l’idée de grimper ici ? Zut, si j’avais le temps j’irais faire le tour de la boutique pour savoir quels sont mes copains normands qui sont venus dans le coin. Peut-être qu’un cousin à moi est venu ici sans me prévenir, pardi !
Dommage que je n’aie pas le temps. Aujourd’hui, je ne suis pas là pour grimper, je suis là pour poser quelques questions à Monsieur Victor Guillermin qui, paraît-il, aurait eu l’outrecuidance de grimper Aloha à la journée.
Avant de le rejoindre, je me suis rapidement renseigné sur le bonhomme et j’ai remarqué qu’il n’en était pas dans son coup d’essai dans le 9e degré le bougre puisqu’il a déjà enchainé, jugez plutôt : Condé de choc, un 9a à Etraygues, Sashinadanda, 9a+ à Orgon, Avaatara, 9a, au Liban dans un cadre presque aussi grandiose que celui du Kronthal, et j’en passe.
Bref, le loustic tient les prises apparemment, alors quand Yann m’a proposé d’aller papoter cinq minutes avec lui pour vous les raconter ensuite, je n’ai pas hésité longtemps : j’ai remis mon après-midi bricolage à plus tard et j’y suis allé (j’avais la flemme de toute façon).
Du coup je me retrouve au Kronthal avec cette voiture du 76 qui me fait de l'œil mais dont le mystère devra rester entier.
Au pied de la grotte, j’aperçois Yann déjà excité comme une puce à l’idée de prendre des photos, il est entouré du père Guillermin, et du fils, le sniper. Je les salue et je blague en leur racontant que je suis curieux de savoir quels sont mes voisins normands qui sont venus jusqu' ici (on brise la glace comme on le peut). Et qu’elle n’en fut pas ma surprise de les entendre me répondre “c’est nous !” le sourire jusqu’aux oreilles ?
Quoi ? Qu’entends-je ? Des normands en pèlerinage en Alsace ? On aura tout vu. Une fois mon orgueil ravalé, non je ne suis pas le meilleur grimpeur normand, je continue de me renseigner :
- Mais vous êtes d’où ?
- Du Havre.
- Mais nan ?! Je suis de Caen et ma copine du Havre. C’est maboul tout ça.
- Ben oui.
- Ça veut dire que là vous venez du Havre ?
- Euh ben oui, du Havre.
- Et vous avez fait la route depuis le Havre jusqu’ici !?
- Euh… comment dire, on est du Havre quoi.
- Complètement maboul.
Après cette enquête minutieusement menée dans laquelle le lecteur attentif aura compris qu’ils viennent du Havre (c’est dingue !), les présentations continuent et je dois dire que les Guillermins, père et fils, m’apparaissent très sympathiques et d’une réelle gentillesse.
Après quelques tergiversations, Yann décide où installer la corde fixe et me demande la cotation de la voie avant que Victor n’aille y monter la corde, histoire de ne pas l’envoyer dans un traquenard vous comprenez. Je trouve la question quelque peu saugrenue compte tenu du fait que le loustic pourrait sans doute marcher sur pratiquement toutes les voies du site. Et c’est d’ailleurs ce qu’il fait. Il papote pendant qu’il grimpe, il ne sait pas trop où il va alors il escalade-désescalade, ré-éscalade, le tout sans vraiment se poser de question.
Victor redescend et Yann se prépare à monter pour prendre les clichés dans un tout petit baudrier de compète ultra léger. J’en connais un qui va avoir mal aux pattes d’ici quelques minutes.
Ensuite, le Victor se remet dans la corde pour que Yann prenne quelques photos de lui en train de grimper et il part dans la difficilement domptable Aloha. Et là , quelque chose s’est passé, comme si le temps se suspendait. Impossible de quitter le gamin des yeux, ce fut une sacrée leçon d’escalade, on en oublierait que c’est un plafond. C’est propre, très technique, avec de multiples placements de pieds intermédiaires et des genoux très bien sentis. Ya pas à dire, c’est beau à voir l’escalade quand c’est bien fait.
Une fois les quelques clichés pris et le Corby redescendu avec quasiment plus de sang dans les jambes, nous prenons enfin le temps de parler un instant pour qu’il me raconte un peu le chemin qui le mena à Marlenheim.
Victor bonjour et d’abord bravo pour Aloha ! Ensuite, avant de parler un peu plus de la voie, est-ce que tu pourrais nous dire en quelques mots d’où tu viens et ton parcours vis à vis de l’escalade ?
Je m’appelle Victor Guillermin, j’ai 19 ans et je viens du Havre en Normandie, Normandie qui n’est pas la région de France la plus pourvue en caillou. J’ai commencé l’escalade à 10 ans, chez mes grands-parents et à l’époque ça ne m’avait pas spécialement plus. Ensuite, après avoir essayé un peu tous les sports au Havre, je suis retourné vers l’escalade dans une salle havraise de 8m de haut et c’est là que j’ai bien accroché.
Puis, vers 12 ans, quand j’avais un peu fait le tour de cette salle d’escalade, j’ai supplié mon père de construire un panneau dans le garage et c’est à partir de là que ça a commencé à dégénérer. J’ai bourriné dans ce garage jusqu’en seconde/première. Et après, il y a une nouvelle structure de diff’ et de blocs qui ont été ouvertes et je me suis entraîné là -bas.
Durant cette période j’ai fait beaucoup de compétitions jeunes avec quelques coupes d’Europe mais aussi beaucoup de caillou et quand il s’agit de caillou j’ai toujours envie de faire des trucs trop durs pour moi.
Ben ça va commencer à être compliqué à trouver s’il ne te faut plus qu’une journée pour faire 9a…
Mais les 95% de mon temps passé à grimper en extérieur, c’est sur deux voies, je suis un vrai aficionado des grands projets, c’est ce qui me pousse à vraiment m'entraîner.
Après le lycée, j’ai décidé de partir sur Paris et d’intégrer le club de Massy et depuis deux ans je travaille avec Guillaume Levernier avec lequel on a un double projet : compétition et falaise.
Et du coup t’as fait beaucoup de caillou ? beaucoup de falaises ? dans d’autres pays aussi ?
Et bien oui quand même, on s’est bien baladé. Le plus gros trip qu’on a fait c’était le Liban.
Mais oui t’as fait Avaatara ! Il n’y en a pas beaucoup qui ont fait ce truc là .
On est deux oui, David et moi. Je pense que c’est la plus belle voie de la planète, et de loin. Sinon on a fait beaucoup l’Espagne, la Catalogne. Plus classique mais pour les voies dures au bout d’un moment t’es obligé d’aller là -bas. On a fait beaucoup Orgon aussi, parce que c’est pas loin de chez ma grand mère et c’est là où j’ai fait mes plus gros projets en escalade. Et sinon on s’est baladé à droite à gauche et d’ailleurs on est déjà venu grimper en Alsace une fois il y a quatre ans. Et pour finir, un petit peu de Pic St-Loup et de Fontainebleau.
Ah mais oui au Pic St-Loup t’as fait Moksha. T’as vu j’ai révisé.
Oui exact. Il faut que je fasse gaffe du coup, si je raconte n’importe quoi je vais me faire recadrer.
Et du coup, pourquoi Aloha ?
Et bien est-ce que tu connais le site Escalade9 ? J’adore traîner sur ce site, je passe mon temps à scroller et j’arrête pas de me dire : “ce 9a là ça a l’air mythique” “celui-là il a l’air trop cool”. Et avec mon père on aime beaucoup aller dans les endroits, on va dire, un petit peu moins connus. Pour faire des trucs qui nous changent des voies ultra répétées. Ça nous pousse à aller dans des coins où on ne serait pas venu naturellement et souvent ça nous fait découvrir des falaises sous-cotées.
Et j’avais vu sur escalade9 une photo d’Aloha et elle m’avait marqué : voir un gars, pendu en plein dévers coupé au couteau dans un rocher rouge, tu te dis “ ouah, c’est magnifique”. En tant que grimpeur normand, tu sais qu’il y a des falaises dans le sud mais tu ne sais pas qu’il y a des falaises en Alsace aussi. Et même là , à Paris, quand j’ai dit à des copains que j’allais en Alsace ils m’ont répondu d’aller à St-Léger comme tout le monde. Et pourtant c’est là qu’il faut venir, c’est là qu’il y a des gemmes cachées.
Aussi, je savais que cette voie était assez mythique, qu’elle était peu répétée et c’était l’occasion d'essayer.
Et ça va, tu ne regrettes-pas d’être venu ?
Pas vraiment, on est parti pour 3 jours et je crois que ça en valait la peine. On est arrivé à 13h à la falaise et la voie est tombée vers 17-18h. Un truc comme ça.
En trois montées c’est ça ?
Alors si je dois être totalement honnête j’étais déjà venu il y a quatre ans et j’avais mis une montée dans Aloha, j’avais dû faire 5 dégaines avant de me faire éjecter. C’était à l’époque beaucoup trop dur pour moi. J’étais monté juste pour me rendre compte que je ne faisais pas un mouvement.
On s’était alors rabattu sur la grotte du Brotsch et là ça avait été cool. Je m’étais amusé et c’était magnifique. Mais il restait ce petit côté revanche à prendre et surtout, je ne savais en fait pas à quoi ressemblait la voie, je savais juste que c’était dur. Je n’avais pas le sentiment d’avoir fait honneur à la ligne, de bien l’avoir travaillée et essayée. Du coup c’était oui, le côté revanche, mais surtout le côté : “travail à finir”.
Et alors je crois qu’en quatre ans d’entraînement j’ai pas mal progressé et c’est passé assez vite du coup.
Et à quoi tu penses que tu as réussi à faire ça en si peu de temps ? C’est un coup de chance, c’est le fait que l’entraînement pour la compète serve aussi pour ce type de voie ? A quoi tu attribues cette réussite ?
Je pense que c’est tout mon entraînement pour la compétition qui m’a permis de faire cette voie rapidement. J’en suis persuadé car si je regarde mes deux montées de travail elles n’étaient pas si bonnes que ça.
La première montée, je fais les mouvements mais je ne me sens pas très bien dedans, je sens que c’est dur, faut forcer, et surtout c’est très désagréable à grimper, il y a plein de mouvements où il faut griffer des petits pieds, des mouvements de contorsionniste. C’est dur de te relâcher et de garder l’esprit clair.
Une heure après je fais une deuxième montée et là déjà c’était beaucoup mieux. Quand t’es en bas et que tu révises la voie, tu te refais les mouvements dans la tête et quand t’y retournes, t’as l’impression d’y être déjà allé trois ou quatre fois et t’es tout de suite beaucoup plus posé et précis dans tes mouvements. Je fais alors tout le toit en deux sections mais je lutte encore sur la sortie où je fais les mouvements intrinsèquement mais je sens que c’est pas optimisé. Et pour la petite histoire, je savais qu’il y avait un 7a à la fin et je fini par me décider à le checker. Sauf que ça s’est pas super bien passé, j’ai fait n’importe quoi et je me retrouve pendu dans le vide sans avoir pu tout voir.
Et là , de retour en bas, une question se pose, est-ce que je refais une montée de travail ou bien est-ce que je tente un essai dit, du tchètchène. Un essai d’un gars qui est prêt à en découdre quoi. Et du coup, comme je suis en saison de compétition, je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne à tout donner lors d’un essai. J’ai alors beaucoup préparé la voie depuis le sol avec beaucoup de visualisation, de repérage, j’ai ressorti toutes mes routines avec la musique et tout. Et, là où j’ai été malin, c’est que j’ai quand même regardé la vidéo de Julius où je le vois faire le pas de sortie du dévers. Juste le 1er mouv du 7a de fin.
J’attends alors que le soleil se couche, je nettoie les chaussons à fond, je prends une genouillère un peu plus rigide, vraiment pour que toutes les chances soient de mon côté.
Et là j’ai réussi à lâcher un run comme en compétition où, même s’il y a des petites erreurs, tant que tu restes concentré, ça va. Tout est alors une question de garder l’esprit clair. Si tu gardes l’esprit clair, tu peux continuer à avancer. Et alors j’arrive à l’entrée du crux plutôt frais et plutôt surpris. Et c’est là que j’ai l’éclair de lucidité où je me dis que je peux le faire. Et je repars, je sors le crux en criant avec ce talon droit précaire, cette corne et ce gros mouvement vers le bac final.
Alors seulement je reconnecte et je prends bien entre 5 minutes (selon le grimpeur) et 1 minute (selon l’assureur) pour reprendre mes esprits. Reste à vérifier avec la VAR.
Du coup obligé de faire le 7a sinon le coach il va gueuler.
Et tu pourrais nous décrire ton ressenti dans la voie ?
Ça commence par une première partie en vertical sur bacs pas très intéressante, puis vient le premier tiers de la voie qui n’est pas très dur où les prises sont bonnes mais ça te met une pré-fatigue vu qu’on est quand même dans un dévers à 90°. Faut quand même gainer, garder de la tension et c’est de l’influx qui part.
Ensuite vient le 2e tiers de la voie où les hostilités commencent, je dirais qu’il y a vraiment 10 mouvements très intenses où ça va vite si tu connais bien mais c’est quand même en 3D et ça fatigue. Les prises sont pas si mauvaises mais assez éloignées et faut bien gainer les pieds. Ça te fatigue le tronc et les biceps, même pas tant les avant-bras.
Et là , à partir de la lèvre il y a le dernier tiers avec le crux de la voie, qui doit être à peu près un 7C+ bloc sur 5 mouvs à peu près avec un genou très dur à négocier.
Et bien merci pour ces infos et tu vois, cette voie elle fait un peu débat chez nous car Julius il a mis 9a à l’ouverture puis Adam arrive, il trouve des méthodes plus simples qui facilitent le pas de bloc de fin mais garde quand même le 9a et après c’est répété avec les genouillères par Antoine et on met un /+ à la voie. Toi ton ressenti après l’effort ?
Moi, tel quel, je dirais 9a dur, plus 9a dur que 9a/+. Parce qu’avec les genouillères ça facilite pas mal et dans mon ressenti j’ai fait trop vite pour que ça soit plus que 9a. Par contre je pense que là où il y a peut-être eu un petit cafouillage c’est sur le 9a de départ de Julius. Le faire, sans genouillère, avec des méthodes pas franchement optimisées qui rendent clairement le crux de fin plus dur, je suis certain que c’était 9a+. Et peut-être que la version d’Adam valait 9a/+ et que maintenant c’est 9a dur. Peut-être que pour les petits gabarits la fin est plus dure et la voie mérite le /+.
Et la gestuelle, les mouvs, ça t’a plu ? Agréable à grimper ?
Et bien c’est une voie dans laquelle, plus tu la grimpes, plus tu prends du plaisir. Au début tu trouves ça tordu et c’est super dur à grimper car t’as des prises à 360° et tu sais pas comment avancer. Tu passes alors ton temps à te faire secouer dans chaque mouvs. Puis plus tu les fais, ces mouvs, plus ton corps apprend à se placer et plus tu peux te détendre et ça devient beaucoup plus fluide et fun à grimper. Il y a un côté très joueur dans cette voie où il faut accepter des prises de risque, d’être obligé de s’engager dans les mouvs.
Du coup trip alsacien plutôt prolifique, est-ce que ça augure d’autres trips dans le coin ? Il n’y a pas qu’Aloha comme trucs durs ici.
Et bien ce serait avec grand plaisir ! En vous rencontrant on se rend compte aussi, de vive voix, que le Kronthal ce n’est pas tout ce qu’il y a en Alsace, même si c’est le plus connu et qu’il y a un million d’autres falaises avec un million d’autres voies dures qui ont l’air géniales à essayer. Il va falloir faire des choix mais c’est sûr qu’on reviendra avec grand plaisir pour faire les belles voies dures du coin.
En tout cas si tu reviens et que tu as besoin de quelqu’un pour te faire découvrir les falaises d’ici, tu n’hésites pas. Tu vois, y’a le bouquin qu’est sorti (NDLR : le livre de Yann Corby) depuis tout à l’heure et on a qu’une envie c’est de te montrer toutes les pages.
Et bien je dirais aussi aux copains du sud de venir se frotter aux voies dures du coin. S’ils veulent serrer des arquées apparemment il y a deux-trois petites lames de rasoir ici.
Sinon j’ai cru comprendre qu’il y avait un petit Stocking the Fire sur le feu ?
Ah oui ça c’est le projet de ma vie, ça fait deux ans et des brouettes qu’on le travaille. J’étais pas loin cet hiver mais il va falloir attendre l’hiver prochain pour remettre ça, après la grosse saison de compétition.
Et bien bravo, bon espoir pour la suite et merci d’être venu nous rendre visite !
Merci de m’avoir accueilli !
Après avoir cuisiné Victor, Yann et moi reprîmes le bouquin de Yann dans les mains et nous leur montrâmes un maximum de voies et de photos excités comme des puces, avec, dans le désordre :
- Regarde ça c’est Pyrrhus ! 9a de Pierre encore non répété à ce jour ! Pour des doigts d’acier,
- Mais Profenid 200 jamais c’est 8c !
- Parait que l’extension de Speed n’apporte pas tant que ça à la voie. La falaise a l’air complètement folle !
- Pouah la photo dans Mekka direct est complètement dingue !
- Y a aussi au Chuenisberg oĂą un 9a+ reste Ă faire !
Bref, les Guillermins, z’êtes les bienvenus en Alsace.
â–¶â–¶ Victor est soutenu par Tenaya et Fondation respect.
Merci Antoine, Yann, EA ! C'est vraiment génial d'avoir du contenu propre et non copié comme le font 95% des sites Web actuels ;-)
Merci Antoine!
Félicitations à Victor pour sa superbe performance et pour avoir fait le voyage jusqu’en Alsace.