AUX THERMES DE LA JOURNÉE, Texte JP Banville
AUX THERMES DE LA JOURNÉE…
222 AD
975 Ad Urbe
- Oui, Mamercus… jamais je ne pourrai faire concurrence aux bains de notre ex-empereur divinisé, Caracalla! Je ne possède pas la bourse de feu l’empereur…
- Là, mon cher ami, tu es trop modeste! Je te vois à tous les jours au bain et, sans être un âne, les Dieux t’ont accordé beaucoup de mérites… sous la cinctus! Et puis cette image de marque que tu fais porter partout dans Rome, ce tabonem, il butine et il pique n’est-ce pas?
- Pas trop de plaisanteries sur nos maîtres : on ne sait jamais qui nous écoute! Mon bureau est sûr mais, ailleurs, il faut être prudent! Tu sais ce qui est arrivé au début de l’année à notre précédente divinité, Élagabale, qu’on ne peut plus nommer pour des raisons évidentes.
- Damnatio Memoriae : Élagabale n’a jamais existé!
- Exact…mais le peuple romain, encore plus maintenant, a besoin de détente et de loisirs. Or j’ai beaucoup d’imagination et, comme le tabonem, j’aime à la fois la couleur et les apprêts. Je compte élever le moral de la plèbe en lui offrant des loisirs sains et excitants. Je vais te montrer et ensuite tu l’écriras.
- Je t’arrête, Spurius : même si j’écrivais en marchant pendant que tu me montres tes installations, il faudrait des mois pour que la nouvelle soit diffusée. Ce, même dans Rome!
- J’ai trouvé la solution dans le marché aux esclaves au coin de la rue. Un petit bonhomme provenant de la Serica! Il m’a montré, Mamercus, comment ils font dans son pays pour diffuser les édits. Simple : ils les gravent sur un support.
- Rien de bien nouveau!
- Oui, nous on grave une tablette et on l’expédie à son destinataire mais imagine qu’on grave une tablette, qu’on mette de l’encre sur les lettres et qu’on place une feuille de papyrus sur la tablette. Il en sort un message… mais la tablette est encore utilisable … on encre la tablette à nouveau et on imprime de nouvelles feuilles selon le besoin et le tour est joué. On peut créer des centaines d’exemplaires du message et les distribuer partout! Voilà le progrès!! J’en fais moi-même l’impression dans la cave de mon établissement : ma première publicité devrait être distribuée dans les cauponae de Rome cette semaine.
- Pour les bains?
- Oui, les Bains Coponae … tout ce battage sur l’insecte avait pour but de mousser, avant l’ouverture, la réputation de mon établissement de bains. Et ce fut un succès ! Toute la ville en parle. Viens, je vais te montrer…
Ils sortirent du bureau dont le seul accès était un long corridor.
- De chaque côté, dans la maçonnerie, il y a les tuyaux pour l’entrée d’eau et sa sortie. En partie, bien entendu. Mon bureau est ainsi isolé des curieux et des mouchards payés par un peu toutes les institutions. Deux étages en dessous, ce sont les fournaises. Et le revêtement du toit est en plaques de plomb rivetés : chaud l’hiver et brûlant l’été mais je suis à l’abri des indiscrets.
- Tu as pensé à tout, Spurius! J’ai remarqué la table basse et les trois lits de banquet dans ton bureau… à trois invitées par lit, ta vitalité sera vite épuisée!
- Tu te méprends, Mamercus. Il y a quelque temps déjà que j’ai temporisé quant aux affaires de Vénus : jamais plus de trois filles à la fois. Et des esclaves, en prime! Je ne veux plus avoir de problèmes avec les pères ou les maris… Tu te souviens de Gnaius Borborygmus qui m’avait poursuivi durant quelques milliers de pas le long de la Voie Appienne? Tout ça pour sa fille Titia…
- Ah Titia! Titia! Quelle poitrine, cette déesse…
- Oui, une poitrine opulente mais un ti-ti cerveau! Elle a été dire à son père qu’elle voulait m’épouser. Tout cela parce que je l’ai amenée une dizaine de fois sur les bords du Tibre. Pour qu’elle prenne des couleurs : elle était assez pâle et le grand air…
- Et pour prendre des couleurs, il faut enlever sa tunique, hein?
- Elle avait un goût exquis pour le lin! Je lui en ai fait livrer des dizaines de mètres en plusieurs couleurs pour qu’elle se fasse des subligati et des fasciae pectoralis. Je n’ai jamais pu, hélas, les voir. Son père… mais c’est de l’histoire ancienne! Je me contente maintenant d’être un jeune veuf gaillard qui possède quelques dizaines d’esclaves.
- Toutes féminines…
- Non ! Le portier est Gaulois. Uniprix, son nom. Je l’ai eu à bon marché d’un marchand syrien qui liquidait son inventaire. Il est un peu sourd mais, à un coût abordable… Pour revenir à mon établissement de bain, j’ai tout d’abord considéré la disponibilité de l’eau…
- Papa Tibre…
- Voilà ! La chaufferie est connectée au Tibre par deux tuyaux en maçonnerie. Des esclaves masculins sont chargés de veiller à ce que les feux ne s’éteignent pas. Pour me mettre dans les bonnes grâces des Vestales et des Sacerdos, je collecte tout ce qui flotte sur le fleuve et je le brûle pour chauffer mes thermes. Je fais ainsi une bonne œuvre en nettoyant les alentours et je me place sous la protection des plus hautes instances religieuses de la Ville…
- Tu vois plus loin que nous tous, Spurius! Tu devrais être devin…
- Sans doute… j’ai une imagination débordante…
Au bout du couloir, Spurius se dirigea vers la droite et entra dans la salle principale. L’offre la plus populaire : un bain tiède dont la profondeur n’excédait pas trois pieds. Tout autour, des bancs qui faisaient office de sièges mais aussi de lits de massage selon le goût des clients. Sur chaque banc était gravé le nom de la masseuse qui y officiait.
- C’est vide… il n’y a personne aujourd’hui parce ce que c’est Saturnalia. Les bains sont fermés. Mes employés bénéficient de leur congé annuel…
- Tu leur octroie une journée de congé?
- Même les esclaves ont droit à une journée de repos une fois par année, non? Ceux qui sont encore ici doivent s’amuser un peu plus loin, sur le mur.
- Le mur?
- Oui, un mur construit près du frigidarium! Une erreur car il devrait être plus près de l’entrée des bains mais c’est une ancienne construction rénovée alors il faut faire avec ce qu’on a. Je vais te montrer!
Ils sortirent du tepidarium par une porte dérobée et, après traversé le destrictarium où les huiles parfumées embaumaient l’atmosphère, ils arrivèrent à un cul de sac terminé par un mur couvert de sculptures.
De jeunes femmes ‘’au naturel’’ s’époumonaient en encouragements pendant que l’une d’entre elles tentait de grimper au sommet du mur en utilisant le relief des sculptures. Une corde passant par le sommet la reliait à deux de ses camarades qui tenaient ainsi son intégrité entre leurs mains.
En voyant les deux hommes pénétrer dans la pièce, ces dames – une petite dizaine – s’écrièrent ‘’Dominus! Dominus!’’ en se précipitant vers les nouveaux venus.
- La corde, s’écria Mamercus!
L’athlète du vertical avait amorcé un mouvement vers le sein de Fraus, la déesse de la tricherie. Son nom était gravé sur la brique ce qui aurait dû être l’indice que cette prise était glissante sinon impitoyable pour qui voulait l’utiliser.
Trop tard! Impossible de tenir ce sein que personne ne voulait attraper et elle prit la direction du sol, certaine que ses amies allaient stopper la chute. Hélas, ses camarades étaient déjà au cou de Spurius, leur maître.
Mamercus s’élança et, d’un bond, attrapa la corde de sa main droite. C’était trop peu… et puis la friction de la corde lui brûlait la main. Mais son poids conjugué à la friction fit que la fille toucha le matelas à une vitesse acceptable puis elle tomba sur son postérieur.
Mamercus se releva, regarda sa main endolorie, puis s’en alla aider la jeune femme à se relever.
- Tu as un nom?
- Stimula, dit-elle. Je me nomme Stimula et je suis l’esclave de maître Spurius. Je suis née sur les bords du lac Como et mon père m’a vendu pour payer ses dettes! Le lac Como est entouré de montagnes c’est pourquoi je suis douée pour la grimpe… Enfant, j’allais chercher les chèvres dans les sentiers…
Mamercus semblait apprécier ce qu’il venait de sauver. Stimula était une brune sans une once de graisse sur sa personne. Plus grande que la moyenne et avec de tout petits seins qui pointaient vers le ciel. Un teint clair et de longues jambes. Des yeux bleus, preuve d’un ancêtre barbare.
Il lui tendit la main pour l’aider à se relever. Ce qu’elle fit prestement pour ensuite venir se lover dans les bras de Mamercus.
- Merci de m’avoir évité les Enfers! dit-elle en lui donnant un baiser sur la joue.
Spurius et les filles venaient de se rendre compte de la bourde et accouraient.
- Je vois là ton bon goût, Mamercus ! Tu as sauvé l’un de mes meilleurs investissements : Stimula a une valeur certaine aux yeux de plusieurs clients de mes bains. Allez… c’est Saturnalia ! Je t’offre Stimula en cadeau… de toute façon, si tu n’avais pas été là, j’aurais perdu mon argent !
- Mais je ne suis pas un esclave ! Saturnalia, ce n’est pas pour moi…
- Mais l’amitié, Mamercus, est une denrée rare et que ce soit Saturnalia ou Lupercalia, je t’offre Stimula pour ton plaisir et ton agrément ! Non… ne me remercie pas! Apprécie seulement ses atours !
- Mais…
- Tu veux tenter ta chance sur mon mur ? Je compte exporter le concept dans d’autres villes et faire ainsi une tonne de sesterces…
Mamercus prit la corde qui traînait à terre, tendit un brin à Stimula et lui disant de passer un tour autour de la table de marbre. Puis il se ceignit les reins et se dirigea vers le mur. Il avait déjà escaladé quelques falaises liguriennes quand il était tribun dans la légion mais rien de comparable à ce mur dont les prises étaient des sculptures. Pas qu’il soit haut mais le choix des itinéraires variait selon les goûts. Devais-il se lancer vers le pénis de Saturnus, bien en évidence, ou les lèvres de de Pudicitia ?
Il choisit, par goût, les lèvres de Pudicitia. Les grandes lèvres…
S’élevant en agrippant les interstices du rocher, il rejoint les lèvres puis se décida à tenter sa chance vers le javelot de Bellone qu’il dût pincer pour monter de quelques pieds. Ensuite ce fut le sourire de Hilaritas qui l’amena au milieu du mur. Puis dans la direction de la porte de Libitina, le pied gauche dans la bouche d’Orcus.
La corde suivait, preuve que Stimula faisait son travail.
Mamercus entendit une commotion venant du plancher des vaches………
- Descend tout de suite ! C’est une urgence !! lança Spurius.
Mamercus se laissa aller et fut agréablement surpris de se voir rejoindre le sol en douceur.
- Merci, Stimula ! Et bien… Spurius… j’allais atteindre le sommet ! Pourquoi me faire descendre ?
Un esclave tendait un papyrus à Spurius, un esclave venant du Palais si l’on se fiait à ses atours.
- Le préfet de Côme vient de se faire assassiner ! Lucius Agregatus Sapiofilus vient de mourir, poignardé dans son lit ! Le Palais me demande de faire une enquête confidentielle avant de rendre la chose publique.
- Tu ne peux refuser, Spurius !
- Je sais… heureusement, j’ai formé Labiata pour me remplacer en cas de vacances ou d’imprévus. C’est l’une de mes affranchies qui peut gérer les bains durant mon absence. Je te demande de m’accompagner, Spurius ! Une enquête sur la mort d’un préfet, on ne sera pas trop de deux…
- Bien, bien… je vais t’accompagner : c’est l’une des obligations de l’amitié. Et, en prime, le lac et les montagnes de cette région m’attirent. Et puis je vais amener Stimula qui pourra sans doute nous indiquer qui fait quoi dans cette colonie. Car il ne faut se fier à personne ! Il y va de nos têtes…
- Départ demain matin au lever du jour! On va utiliser ma nouvelle carruca qui est conçue pour les voyages de longues distances. Elle est même chauffée en prévision des nuits froides ! Personne ne doit connaître le but de notre voyage… Surveille la langue de ta nouvelle esclave !
- À ce que j’ai vu, ce n’est pas sa langue que je vais surveiller dans les prochains jours.
Texte : Jean-Pierre BANVILLE